Les combats d’Uber, de Google et de Meta

À partir de documents et de témoignages de lanceurs d’alerte obtenus par le Consortium international des journalistes d’enquête, le reportage de l’émission Enquête diffusée le 9 mars expose les dessous du lobbying d’Uber auprès des autorités afin de « craquer _ les législations sur le taxi. On y apprend que l’entreprise a utilisé d’importantes sommes obtenues d’investisseurs séduits par la prétendue économie du partage pour financer des campagnes visant à discréditer les lois qui ne lui convenaient pas. Cette saga ressemble à l’actuelle campagne de Google et de Meta pour discréditer le projet de loi C-18, actuellement discuté au Parlement. Ce projet vise à obliger les plateformes à compenser la valeur des contenus qui y sont diffusés.

Dans le cas d’Uber, on a sorti le maquillage pour se présenter comme un « innovateur » au service de ceux qui souhaitent « partager » leur véhicule pour arrondir les fins de mois. Tout pour séduire les naïfs qui y voyaient un gain pour l’environnement et une « opportunité » de devenir « entrepreneur » ! Éblouis par les sirènes de la prétendue innovation, les politiciens québécois ont démantelé la réglementation de l’industrie du taxi. Le reportage d’Enquête montre que cette industrie est désormais caractérisée par la précarité. En quoi la précarisation accrue des chauffeurs de taxi peut-elle être considérée comme un progrès ?

Le discours de plusieurs grandes entreprises d’Internet brandit aussi les prétendus intérêts du consommateur. On martèle que les lois protègent des modèles d’affaires désuets. Dans ces argumentaires hostiles aux lois destinées à garantir contre la précarisation, il n’y a pas de place pour les exigences de service public. Tout est ramené à une question de choix individuels.

Les revenus générés par notre attention

Ces jours-ci, pour discréditer le projet de loi C-18, on prétend qu’il viendrait mettre un prix sur les « liens gratuits » vers les pages des médias que les individus choisissent librement de faire. Comme si le Web était un paradis dans lequel on peut accéder à l’information sans avoir à se soucier de savoir avec quels moyens elle est produite.

Ce qui permet aux plateformes en ligne de générer des revenus est leur capacité à générer de l’attention des internautes. Pour les plateformes comme Google ou Meta, les nouvelles produites par les médias ayant recours à des journalistes travaillant selon des exigences de rigueur sont des ingrédients de leurs processus de création de valeur. Cette attention est ensuite vendue sous la forme de publicités ciblées. Le modèle est si efficace que cela a permis à ces grandes plateformes de siphonner la part du lion des revenus publicitaires au Canada.

Dans le modèle classique des médias de masse, les revenus découlant de la publicité servaient à financer la collecte et la diffusion d’informations généralement validées selon diverses méthodes journalistiques. L’information était publiée à l’issue de processus rédactionnels valorisant en principe l’exactitude et la rigueur.

Désormais, la publicité est ciblée en fonction de calculs algorithmiques. Les plateformes comme Google, Facebook ou Instagram sont conçues de manière à permettre à ceux qui veulent y faire de la publicité de cibler leurs messages vers les usagers dont le profil de consommation d’images, de textes et de sons correspond aux types de « consommateurs » visés. Ces plateformes fonctionnent en valorisant le temps passé par chaque internaute sur des contenus « partagés » en ligne. Cela s’appelle la valorisation de l’attention. Ce qui génère des revenus publicitaires, c’est l’attention qu’un contenu obtient auprès des usagers. Ce n’est pas la qualité, ni l’importance du sujet, qui compte.

C’est cet engagement des usagers que les plateformes comme Google et Meta transforment en juteux revenus. Une bonne partie de la matière qui génère cette valeur connaît une appropriation sans contrepartie. C’est à ce modèle d’affaires fondé sur l’appropriation des revenus tirés de la consommation des contenus de nouvelles que le projet de loi C-18 propose d’imposer des limites.

Le projet de loi C-18 vise à recanaliser une partie des revenus vers les producteurs de nouvelles. L’information validée, essentielle aux délibérations démocratiques, n’est pas gratuite. À ce jour, Google et Meta ont choisi de déterminer que ces contenus ne valent rien pour en justifier le partage sans compensation. Cela leur permet de récupérer à leur seul profit la valeur publicitaire associée à ces contenus. Mais est-ce qu’une société démocratique peut tolérer que les coûts de production de l’information validée soient assumés par les seuls producteurs d’information, alors que les revenus qu’elle permet de générer sont récupérés uniquement par les plateformes ?

Lorsqu’Uber a entrepris de s’imposer en défiant les lois, plusieurs ont cru aux sirènes de l’économie de « partage ». Cela a mené l’industrie du taxi à la précarité. Le projet de loi C-18 vise à prévenir la précarisation de celles et ceux qui produisent l’information. Garantir la disponibilité d’informations de qualité est un impératif démocratique. Nous avons subi le démantèlement de l’industrie du taxi. Peut-on se permettre celui des médias d’information ?

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