Un nouvel axe anti-occidental

Le président chinois se rend aujourd’hui en Russie. Il va voir son grand ami Poutine, de plus en plus clairement un allié… mais peut-être également son futur vassal. Selon l’appréciation de Pékin, « il n’y a pas de relation bilatérale plus importante dans le monde ».

La grande question derrière cette visite, dans le contexte dramatique de 2023 : jusqu’où ira l’appui de la Chine à la Russie, dans sa guerre à l’Ukraine et à l’Occident ?

Les sympathies de Pékin sont ici évidentes : tout en prétendant jouer les observateurs impartiaux et responsables, les médias chinois reprennent quotidiennement les thèses russes sur « l’OTAN fauteur de guerre ».

Ils ne nomment pas l’agresseur et l’agressé (devenus vagues « protagonistes »), disent sans détail qu’il faut négocier (le supposé plan de paix en 12 points), dénoncent vertement les sanctions occidentales. Et ce, tout en « déplorant » les destructions… dont l’auteur n’est jamais désigné.

Ce soutien qui ne dit pas son nom pourrait-il aller jusqu’à des livraisons d’armes, qui donneraient au conflit une dimension mondiale, tout en augmentant les chances de la Russie dans sa spoliation de l’Ukraine ? Alors même qu’à Bakhmout, les détachements russes donnent aujourd’hui certains signes d’épuisement ?

C’est possible, car la Chine a sans doute intérêt à voir une Russie affaiblie — qu’elle pourrait vassaliser, et dont les ressources sont alléchantes pour cette puissance assoiffée. Mais pas une Russie vaincue.

Cependant, un soutien accru, devenu explicitement militaire, exacerberait la contradiction et le caractère fallacieux de la posture « neutre et pacifique » de Pékin.

De plus, il y aurait des conséquences économiques (rupture ou grave réduction des liens commerciaux avec l’Europe). La Chine, malgré l’anti-occidentalisme forcené qu’elle partage avec Moscou, ne veut pas d’un monde devenu économiquement chaotique.

(C’est d’ailleurs une des principales raisons qui retiennent aussi Pékin d’agir à Taïwan — l’économie versus l’impératif stratégique.)

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Pourtant, depuis un an, il est clair que la Chine aide la Russie. Pékin a absorbé une grande partie des exportations russes d’hydrocarbures, atténuant l’impact des sanctions. Selon le département d’État (Antony Blinken, le 19 février), les Chinois envisagent la possibilité d’envoyer des armes et des munitions à Moscou, ce que
Pékin nie.

Si jamais la Chine franchissait cette ligne, ce serait sûrement de façon discrète… contrairement aux Occidentaux qui soutiennent, visière levée, la lutte pour la souveraineté et la démocratie incarnée par l’Ukraine résistante.

Comment au juste ? La liste des visites croisées entre dirigeants des pays de l’axe anti-occidental, depuis six semaines, en donne une idée.

Raïssi, le président iranien, a passé trois longues journées à Pékin, les 14, 15 et 16 février. Loukachenko, le Biélorusse, également à Pékin, le 1er mars. Loukachenko encore, le 13 mars, cette fois à Téhéran. Bachar al-Assad, le dictateur syrien, au Kremlin le 15 mars. Et aujourd’hui, Xi Jinping à Moscou.

Selon l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), des entreprises chinoises ont vendu des fusils, des pièces de drones et des équipements à des entités russes. On sait déjà que des drones iraniens attaquent des civils en Ukraine. Et que, dans cette chaîne de production, il y a en amont des pièces chinoises.

Xi et Poutine vont sans doute évoquer des plans de contournement des sanctions, pour soutenir ces circuits de production et de distribution. Selon l’ISW, Xi et
Loukachenko ont signé 16 accords pour acheminer des produits chinois via la Biélorussie.

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L’impérialisme russe exprimé dans l’invasion militaire d’un voisin, guidé par un homme désormais recherché par la Cour pénale internationale, s’allie au néo-totalitarisme chinois dirigé par un despote au mandat illimité, et à un régime théocratique aux abois qui matraque les jeunes et les femmes.

Un nouvel axe se met en place. Mais il n’est pas uni par une vision cohérente ni par une idéologie, comme à l’époque de la guerre froide. Ressentiment anti-occidental et pouvoir de nuisance y sont des ingrédients plus importants qu’un hypothétique plan commun de construction d’un « nouveau monde » alternatif.

Telle est la réalité géopolitique du monde en 2023.

 

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

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