Le prochain drame?
À Amqui, le premier ministre Legault, empressé comme tant d’autres de cadrer le drame en termes de problème de santé mentale, a affirmé qu’il fallait en faire plus de ce côté. Va-t-il désormais répéter la même chose après chaque tragédie, comme un mois plus tôt avec le chauffeur d’autobus de Laval ou encore, quatre jours plus tard, avec ces meurtres sanglants survenus à Montréal, dans le quartier Rosemont ? En tout cas, en plus de compatir, le premier ministre a promis d’investir, selon un schéma simpliste qui veut que pour chaque problème complexe existe une solution simple.
Compatir et promettre d’investir : voici les deux clés d’un seul discours, celui d’un premier ministre qui se présente sur les lieux d’un drame avec le statut de l’homme providentiel désigné tous les quatre ans. Même répétés à satiété, ces mots brandis comme des talismans peuvent-ils suffire à infléchir dans une autre direction la pente sociale sur laquelle nous glissons ?
Le premier ministre admet, au moins, un manque criant de ressources en matière de santé mentale. Il a raison. Difficile de le nier. On le lui a maintes fois signalé. Dans la structure actuelle du système de santé, malmenée par le Dr Gaétan Barrette, les psychologues, à majorité des femmes, quittent massivement le navire. Elles fuient en partie parce qu’elles sont mal représentées et mal payées au sein de l’appareil médical. En 2022 seulement, il y a eu cinq fois plus de départs que par le passé ! Tout ce monde, bien que navré, nage du côté du privé.
De tous les côtés, les listes d’attente pour consulter un psychologue ne cessent de s’allonger. Selon des projections, il va bientôt manquer la moitié des psychologues nécessaires au réseau de la santé. Et bien sûr, les psychologues ne sont pas seuls à écoper. Tout le personnel de la santé voit se déplacer sur ses seules épaules la charge d’individus dont la santé mentale vacille, au milieu d’une société qui ne remet pas pour autant en question ses fondements.
« Nous avons ajouté des ressources avec la pandémie », a indiqué François Legault. Le premier ministre a beau se féliciter d’ajouter des chaloupes de sauvetage, les écueils guettent plus que jamais. Depuis des années, le bateau du système de santé publique coule à pic. Dans l’état actuel des choses, les noyés et les lessivés se multiplient. Les maigres secours disponibles parviennent à les tirer de l’eau, tout juste le temps de les laisser respirer, avant de les laisser couler de nouveau dans les flots, sans rien changer au fond du problème.
« L’hôpital est malade », disait Marc Favreau, alias Sol, il y a longtemps déjà. Cela demeure vrai. N’est-ce pas là un signe que c’est la société qui l’est profondément ?
Les sommes réservées à la « santé mentale » dans le prochain budget seront bonifiées, assure le premier ministre. Elles l’ont déjà été, ajoute-t-il. « Il faut en ajouter encore plus », dit-il encore, en se voulant rassurant.
Est-il permis de se demander si c’est en réduisant les impôts, comme il le fait, qu’un gouvernement se donne toute la latitude pour injecter sérieusement plus d’argent dans ce réseau ?
Tiré d’un côté puis de l’autre, M. Legault ne cesse d’être soumis aux flots de l’actualité. Il aura beau promettre, un drame après l’autre, de toujours ramer davantage vers les noyés, le modèle fragile qu’il préside n’en continuera pas moins de tout emporter par le fond. À chaque écueil, le ressac sera plus grand.
Devant les crises et les problèmes sociaux qui nous enserrent et se multiplient, notre système de compréhension du monde tente de se libérer en ramenant tout, ces jours-ci, aux seules dimensions de la maladie mentale. Voyez les commentaires précipités de François Bonnardel. Des gens en traitement devraient être privés de permis de conduire, a-t-il suggéré dans une pirouette. Combien d’autres, comme lui, se sont lancés tout de suite, à toute vitesse, sur le grand boulevard de pareille bêtise ?
Entendons-nous bien. Les problèmes de santé mentale sont criants. Ils sont pressants. Ils existent. Les psychoses, la bipolarité, les stress post-traumatiques, les troubles de la personnalité et bien d’autres souffrances de ce registre sont des réalités de longue date. Et elles ne se traitent pas avec du bouillon de poulet. Nous le savons. Nous le comprenons. Il faut des gens formés. Des professionnels de la santé. Des gens dévoués. Il en manque. C’est un fait. Un fait navrant.
Mais nous sommes aussi devant un système social et économique qui produit des dérives et que nous refusons de remettre en question. Considérez par exemple le nombre de morts sur les routes d’Amérique. C’est effarant. Considérez en plus les effets de la pollution qu’elle produit. Au-delà des « fous au volant », toutes les vies menacent d’être écrasées par ces béliers d’acier que nous vantent pourtant des publicités. Est-ce trop demander de voir qu’une partie du problème loge là ? Sur l’autoroute folle de nos défaillances collectives non maîtrisées, doit-on tout ramener encore longtemps à la seule santé mentale des uns et des autres ?
Regardez le cas de la fonderie Horne. Depuis des décennies, elle crache la mort, sans pour autant générer de déferlements de compassion. À maintes reprises, le gouvernement Legault a été alerté, comme ses prédécesseurs, des dangers liés à un tel degré d’émissions polluantes. Des « inquiétudes injustifiées », avait rétorqué le gouvernement Legault. La responsabilité de cette exploitation, de ses patrons, la violence engendrée sur le monde vivant se dérobe devant l’idée qu’il faut maintenir en vie une industrie et la santé de l’économie, quitte à sacrifier ceux et celles qui la font vivre. Si bien qu’il apparaît normal, dans l’ordre du chacun pour soi où nous vivons, que ce soient les malades et les malmenés qui payent encore les pots cassés. Ainsi, tout un quartier se voit annoncer, sans plus de manière, qu’il est invité à déménager !
Autrement dit, on change le mal de place. En attendant qu’éclate le prochain drame.