SHOOTER!

Toutes pour une, une pour toutes ! Victimes du GHB, elles dénoncent la culture du viol. De gauche à droite : Rozana Ryan, Aïcha Gascon-Vézina, Sandrine Pelletier et Léa Tanguay.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Toutes pour une, une pour toutes ! Victimes du GHB, elles dénoncent la culture du viol. De gauche à droite : Rozana Ryan, Aïcha Gascon-Vézina, Sandrine Pelletier et Léa Tanguay.

Shooter ! C’est le cri de ralliement d’une génération. Et c’est malheureusement la perspective (et le signal ?) d’une possible agression sexuelle pour les filles qui sortent dans les bars, vont célébrer leur fin de session ou arroser leur remise de diplôme. Intoxiquées à leur insu au GHB, la « drogue du viol », elles deviennent de petites marionnettes faciles à manipuler. D’ailleurs, elles ne se souviennent de rien, comateuses et nauséeuses, les culottes à terre, littéralement.

Sandrine Pelletier, Aïcha Gascon-Vézina, Rozana Ryan et Léa Tanguay ont de 19 à 22 ans, elles étudient en théâtre au cégep, en histoire à l’université ou travaillent. À l’âge où l’on découvre la liberté et l’amour, elles ont toutes les quatre été droguées dans les dernières semaines ou années. Rozana l’a été deux fois en six mois, dont il y a deux semaines au bar Nacho Libre. Sandrine aussi, en janvier.

Toutes se sont fait aider par des amies qui ont reconnu les signes de la « drogue du viol », sauf Aïcha, qui s’est retrouvée sans ses effets personnels, couchée sur le boulevard Saint-Laurent, le pantalon ouvert, hébétée. Black out. Elle se souvient d’avoir été poussée d’une voiture par trois gars. « Je sais me gérer. J’étais pas drunk ! » spécifie la jeune femme qui étudie pour devenir TES.

Je leur ai donné rendez-vous dans un bar du centre-ville cette semaine pour jaser de « dating », des gars, de culture du viol. Si, si, osons les gros mots.

La définition du Conseil du statut de la femme (reprise de l’ONU) : « [kyltyʁ dy vjɔl] n. f. – Ensemble de comportements qui banalisent, excusent et justifient les agressions sexuelles, ou les transforment en plaisanteries et divertissements. Le corps des femmes y est considéré comme un objet destiné à assouvir les besoins des hommes. Les commentaires sexistes abondent et ils créent un climat confortable pour les agresseurs. Dans une telle culture, la responsabilité de l’agression repose sur la victime, dont la parole est remise en cause. »

Rozana, 22 ans, renchérit : « J’ai été violée à 20 ans par un “ami”. Je ne connais aucune fille qui ne s’est pas fait violer ou agresser. Même chose pour le GHB. Toutes les filles l’ont vécu ou connaissent quelqu’un de proche à qui c’est arrivé. Le “GH” peut tuer, mais un viol, c’est moins pire… » ironise Rozana.

Qu’est-ce qui devrait être la normale ? Que les filles dans ce système dominé encore par le pouvoir des hommes ne devraient baisser la garde en aucun moment ? […] Non, je ne décolère pas ce soir…

 

Oh, bien sûr, elles surveillent leur verre, prennent des précautions, mais il faut aussi porter des bretelles, une ceinture et prévoir les condoms en latex… pour leur verre, avec un trou pour la paille. On les vend 38 $ le trio sur Amazon, mais ils sont réutilisables. Shooter !

De l’éducation au changement de culture

De jeunes mecs de leur âge se chauffent avec des vidéos d’Andrew Tate (https://nym.ag/3lcifpw), il ne faut pas s’étonner s’ils ne peuvent pas encaisser un non. Tu as beau t’entraîner au kick-boxing, l’ego reste fragile. « Une de mes amies a dit non à un gars le week-end dernier. Ça a pris la sécurité pour le sortir du bar… », raconte Léa.

« On dit qu’on a un chum pour avoir la paix », ajoute Sandrine. « Moi, je suis bi, raconte Rozana, mais je n’embrasse jamais une fille à l’extérieur, sinon, ils veulent un trip à trois. On se sent comme des fuckin’ objets ! »

Aïcha opine : « C’est pire pour les lesbiennes. »

J’ai écouté ces quatre jeunes femmes me raconter comment elles organisent leurs sorties dans les bars ; cela semble plus simple de partir en canot-camping. Il faut des amis gars pour tenir les prédateurs à distance et des amies filles pour savoir comment réagir si elles se font droguer (les garçons minimisent), ne jamais aller aux toilettes seules, ne pas laisser leurs verres sans surveillance si elles dansent et se méfier du barman aussi (parfois, ce sont eux qui « juicent » les mojitos ou la sangria).

« Les hommes ont plus de respect envers les autres hommes. Y’a de l’éducation à faire », constate Rozana, qui est désormais géolocalisée en tout temps par sept personnes, dont son père. « C’est drainant. Pourquoi c’est à moi de t’éduquer et de ME protéger ? » Tout en payant une taxe rose…

Sandrine constate que les garçons sont sur la défensive à ce sujet : « Ils argumentent. C’est 90 % de filles qui sont touchées. C’est pas un débat ! Ça me heurte. C’est un power trip et je crois que c’est directement lié à la perte de pouvoir des hommes dans la société. Ils se sentent attaqués et le prennent personnel. Si tu as l’audace de dire qu’il y a des inégalités, ils te répondent que tu joues à la victime. » Janette Bertrand avait toujours prédit une riposte des hommes à l’émancipation des femmes. Le GHB en est une. Ce qu’ils n’obtiennent pas avec le consentement, ils vont le chercher par la force.

Culture d’ébriété

Sandrine Pelletier est en contact avec les députées Manon Massé et Marwah Rizqy. Car, à défaut de changer les mentalités et les garçons, elle se tourne vers le politique et les campagnes de sensibilisation. Marwah Rizqy fera un projet-pilote dans les cégeps de sa circonscription (Saint-Laurent) pour offrir les condoms à verre gratuitement dans les partys. Une motion déposée par son collègue André Morin cette semaine à l’Assemblée nationale a été adoptée à l’unanimité pour que les tests de dépistage de GHB soient disponibles gratuitement dans les hôpitaux, les CLSC et les pharmacies.

« Y’a rien de pire que de ne pas savoir. On veut comprendre comment ça a pu arriver. Ce sont des outils médicaux en situation critique », me souligne la fougueuse députée au téléphone.

Elles checkent leur verre. Elles checkent leurs amies. Quand est-ce qu'on checke la culture du viol ?

 

Sandrine, elle, milite pour que les bars implantent des caméras de surveillance, offrent des sous-verres qui détectent le GHB. « Ils investissent dans des systèmes de son de fou, mais jamais dans notre sécurité. À la place, ils prennent des shooters avec les clients ! Le bar où je vais, le staff est saoul. Ils ne peuvent pas nous aider. »

Je recommande le film Le plongeur si vous en doutiez. Est-ce trop demander que les employés restent sobres dans les services publics ?

Mais ces Band-Aid ne guériront pas la plaie vive, elles le savent. Les filles doivent éduquer leurs amis… tout en ne faisant plus confiance aux garçons : « Moi, j’ai peur des hommes et je ne suis pas la seule. J’aimerais ça être fully lesbienne », balance Rozana. Léa rencontre toujours ses « Tinder dates » en groupe : « Tu espères que ça se passe bien. Espoir, protection et se croiser les doigts. »

Sale temps pour échanger des fluides. Sale temps pour avoir vingt ans.

 

cherejoblo@ledevoir.com

JOBLOG | Sportriarcat

Cette semaine, la première de la pièce Sportriarcat soulevait la question qui tue : « Nos institutions font-elles partie du problème ou de la solution ? » On fait référence aux agressions sexuelles envers les femmes dans l’industrie du sport de compétition. Mais la pièce déborde également dans d’autres sphères publiques.

Sportriarcat, signée Claire Renaud, est un mélange de documentaire scénique et d’images impressionnistes porté par six performeuses qui démontrent une fois de plus que le fric demeure le nerf de cette guerre. Et que si le silence est d’or, la parole est d’argent. Ceux qui ont visionné la série L’empereur (Noovo) s’en sont aperçus. J’ai hâte à la deuxième saison !

À voir jusqu’au 1er avril à l’Espace libre.

bit.ly/3yGDu68

Reçu un texto de Sandrine le lendemain de notre rencontre : « J’ai appris qu’une amie s’est fait droguer hier à une soirée où j’étais invitée. C’est fou… »

Oui, c’est fou.

Vu le témoignage vidéo qu’a donné Rozana Ryan à Radpointca. Elle y parle notamment de sa déception face à sa génération qui cible les femmes comme proies : bit.ly/3yHuWf8

Regardé la vidéo sur la culture du viol en 64 secondes produite par le Conseil du statut de la femme. Tout y est : bit.ly/3LmttlZ

Aimé Précis de culture féministe pour briller en société patriarcale, de Sabrina Erin Gin, juriste et féministe française qui s’attarde à plusieurs combats, dont celui de l’amour réduit à sa dimension capitaliste : le marché de la rencontre. Elle consacre aussi plusieurs chapitres aux hommes. « Toutes les recherches s’accordent pour dire que l’agression sexuelle et le viol sont le résultat d’un désir de domination, de puissance certes, mais pas celle perdue dans la misère sexuelle. Croire que la frustration d’un homme insatisfait le conduit à violer fait reposer la responsabilité sur la personne qui se refuserait à lui. Cette vision participe à ce que l’on appelle la culture du viol. »

Un livre qui devrait être lu par toutes les filles (et garçons) qui veulent changer la donne. bit.ly/3Jc0VsE

Bissé Cocorico. Les gars, faut qu’on se parle, de Mickaël Bergeron. Le journaliste tente de brasser une culture toxique. Ces quelques lignes ne sauraient rendre justice à son livre. J’en reparle bientôt, mais notons les chapitres « Des hommes en colère » (Amqui ? Laval ?) et « La culture du viol ». J’ai beaucoup aimé aussi celui qui s’intitule « Pas tous les hommes », comme si se dédouaner changeait quelque chose au problème. bit.ly/3Lq4VZh

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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