Sauver ses fesses

L’expérience nous a appris qu’il faut prendre avec un grain de sel les affirmations du ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, qui a parfois tendance à déformer la réalité à son avantage.

Personne ne s’étonnera qu’un politicien cherche à se donner le beau rôle, mais il y a des limites qu’il n’a pas hésité à franchir dans le passé. Ainsi, dans une entrevue accordée à un collègue du Soleil en novembre dernier, il avait assuré que le Service québécois d’identité numérique (SQIN) était déjà opérationnel au ministère de la Famille (MFA).

« Il est déployé, là. Présentement, on a 30 000 utilisateurs [des éducatrices] qui se servent de SQIN pour se connecter aux services du MFA […] On l’a fait, ça se passe bien pour l’instant », avait déclaré M. Caire.

Il ne s’agissait pas simplement d’une exagération, mais d’une fausseté, que son propre sous-ministre, Pierre E. Rodrigue, avait dû corriger : « Non, elles ne sont pas connectées. Le service n’existe pas. […] On va le tester avec 40 [utilisatrices] et y aller graduellement. Le MFA a un bassin potentiel qui pourrait y accéder de 30 000 personnes. » La Fédération des intervenantes en petite enfance, qui en regroupe 13 000, n’en avait pas encore entendu parler.

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M. Caire a aussi une fâcheuse propension à attribuer aux autres ses propres fautes. Durant la course à la chefferie de l’Action démocratique du Québec, en 2009, il avait été accusé d’avoir embelli son curriculum vitae, de manière à laisser croire qu’il détenait un baccalauréat en communication de l’Université Laval, alors qu’il n’avait suivi qu’une seule session. Il avait imputé ce « malentendu » à une erreur d’un bénévole qui travaillait à sa campagne.

À l’entendre, l’entière responsabilité du cafouillage informatique qui empoisonne la vie des usagers de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) repose sur sa collègue des Transports, Geneviève Guilbault.

Même si le projet SAAQclic était mené par la société d’État elle-même, qui a assurément ses torts, M. Caire n’arrivera à convaincre personne que le ministère créé expressément pour s’assurer que le passage au numérique se fasse en douceur n’avait aucune raison de s’y intéresser.

On imagine le boucan qu’il aurait fait à l’époque où il était dans l’opposition si un ministre avait montré une telle désinvolture. Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, a posé la question que tout le monde avait à l’esprit : « À quoi il sert, Éric Caire ? Pourquoi on le paye comme responsable du numérique ? Qu’il aille relire sa mission, on le paye pour que justement, il pose toutes les questions. »

Le PLQ réclame sa comparution devant une commission parlementaire, ce que le gouvernement va assurément refuser, à moins de vouloir le lancer sous les roues de l’autobus. Curieusement, on ne semble pas vouloir entendre la version de Mme Guilbault. Il vaut toujours mieux s’attaquer au maillon le plus faible de la chaîne.

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En 2018, M. Caire pouvait s’estimer chanceux d’accéder au Conseil des ministres après avoir eu l’imprudence de contracter un emprunt personnel auprès du maire de L’Ancienne-Lorette, dans sa circonscription de La Peltrie, s’exposant ainsi à une situation de conflit d’intérêts potentiel. Il a manqué une bonne occasion de démontrer à M. Legault qu’il a bien fait de passer l’éponge.

Une crise, peu importe sa gravité, est toujours révélatrice. Même si on a le sentiment de n’avoir rien à se reprocher, on peut démontrer sa solidarité et essayer de faire partie de la solution ou chercher à sauver ses fesses. M. Caire a choisi la deuxième option. Au bureau du premier ministre, on en a sûrement pris bonne note.

À l’opposé, Mme Guilbault a profité de la situation pour marquer des points avec une démonstration modèle de prise en charge : retour précipité d’Europe, annonce rapide de mesures d’atténuation, apparition sur le terrain, le tout assaisonné d’une juste dose de contrition.

La vice-première ministre a cependant la réputation d’avoir la mémoire longue. « Normalement, c’est la direction de la SAAQ qui serait devant vous et qui s’expliquerait, mais c’est moi depuis une semaine. Et je vais continuer de le faire tant et aussi longtemps que c’est nécessaire », a-t-elle lancé aux journalistes vendredi. Au sommet de la SAAQ, on doit très mal dormir.

Malgré les désagréments causés aux usagers, le coût politique à payer pour le gouvernement Legault ne sera sans doute pas très élevé. La prochaine élection générale est encore très loin et ce fâcheux épisode sera sans doute oublié depuis longtemps.

À la condition qu’on en tire les leçons qui s’imposent. Il ne faudrait surtout pas que le passage au numérique vire au chaos dans l’ensemble des services gouvernementaux.

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