Des Oscar tout écartillés

Ils n’auront pas toujours une gifle à se mettre sous la dent pour faire parler d’eux sur une planète ravie de l’aubaine. À force de courir après leur auditoire, les Oscar, célébrés dimanche au Dolby Theatre, animés par Jimmy Kimmel (rôle qui réclame des nerfs solides), ressemblent à des funambules fatigués. Difficile de garder lumineuse une étoile de légende tout en soutenant des oeuvres parfois boudées par un public moins avide qu’hier de récits d’intimité. Marcher sur la corde raide y devient un sport de nécessité.

C’est la 95e édition, longue trajectoire en parcours d’époques, du chic gala hollywoodien. On le salue pour avoir su durer, même si ce type de cérémonie cherche son air et ses marques à l’heure où la Californie brûle et où les écrans se multiplient trop pour conserver un vrai prestige. Les déesses et les dieux ont quitté l’Olympe. Seuls leurs beaux vêtements font encore sensation sur les tapis rouges.

Depuis plusieurs années, l’Académie jongle avec des objectifs de diversité. Aucune femme en lice en 2023 pour la meilleure réalisation. Aucun Afro-Américain non plus. Ça la fout mal, après tous les tapages autour des hommes blancs sans relâche chouchoutés. Mais l’Asie marque des points avec Everything Everywhere All at Once, codirigé par l’Américain Daniel Kwan, d’origine chinoise, et son compère Daniel Scheinert. Ce film, qui électrise ou irrite, c’est selon, devrait moissonner le gros des lauriers. Ne caracole-t-il pas en tête des nominations ? Onze, dont celle de Michelle Yeoh à l’enseigne de la meilleure actrice.

La palette des influences et des visages d’interprètes n’est pas si monochrome en une cuvée où les cinéastes afro-américains et bien des réalisatrices n’ont pas signé leurs meilleures oeuvres. D’ailleurs, le vent souffle souvent de l’extérieur du pays. Le Suédois Ruben Östlund, avec le turbulent Triangle of Sadness, palmé d’or à Cannes, est de la course. Le Britannique Martin McDonagh, pour l’admirable The Banshees of Inisherin, de concert, comme l’Allemand Edward Berger avec le beau film pacifiste À l’ouest, rien de nouveau. Ajoutez l’Australien Baz Luhrmann aux côtés de son tournoyant Elvis. Et puis la Torontoise Sarah Polley, qui concourt pour le meilleur film (pas à la réalisation). La voici avec son huis clos féministe Women Talking, dont les magnifiques images éclipsent le propos. De plus en plus, les Oscar trouvent leur inspiration ailleurs que chez eux.

Pas facile pour autant d’asseoir le grand public devant sa télé pour honorer le septième art sous les feux d’Hollywood. Les spectateurs, courtisés par trop de plateformes, n’ont pas tout vu. Le grand écran souffre d’une baisse de fréquentation postpandémique. Reste qu’on parle toujours des Oscar à pleins médias — vieille connivence — et que tous les cinéastes du monde rêvent d’y trôner en tenue de soirée le fameux soir.

Ils ont beau, dans la course au meilleur film, aligner des champions du guichet, comme Avatar 2 de James Cameron, Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski et Elvis de Luhrmann, en se drapant dans leurs succès publics, la vraie partie se jouera entre des longs métrages moins fréquentés. Machos ou pas, les votants sont plus cinéphiles qu’autrefois, et leurs choix s’éloignent souvent de ceux de la large audience. Au profit de l’art ou de la nouveauté, au détriment de la popularité du gala. En trio de tête : le kaléidoscopique Everything Everywhere All at Once, l’admirable The Banshees of Inisherin, le percutant À l’ouest, rien de nouveau. Ce serait étonnant que les Oscar en couronnent d’autres au sommet, tant les prédictions pointent cette troïka. Les oracles se trompent parfois, remarquez. Elvis a ses défenseurs, Triangle of Sadness aussi, mais l’étoile de Steven Spielberg pâlit en salle et sa touchante ode au cinéma de facture classique The Fabelmans a peu de chances de monter bien haut.

Par ici, le jeu des pronostics.

 

Meilleur film. Prédiction : Everything Everywhere All at Once. Mon choix : The Banshees of Inisherin.

Meilleure réalisation. Prédiction : Daniel Kwan et Daniel Scheinert pour Everything Everywhere All at Once. Mon choix : Martin McDonagh pour The Banshees of Inisherin .

Meilleur acteur. Prédiction : Brendan Fraser dans The Whale de Darren Aronofsky. Mon choix : Colin Farrell dans The Banshees of Inisherin.

Meilleure actrice. Prédiction et choix : Cate Blanchett dans Tár de Todd Field.

Meilleur acteur de soutien. Prédiction : Ke Huy Quan dans Everything Everywhere All at Once. Mon choix : Brendan Gleeson dans The Banshees of Inisherin.

Meilleure actrice de soutien.
Prédiction : Jamie Lee Curtis dans Everything Everywhere All at Once. Mon choix : Kerry Condon dans The Banshees of Inisherin.

Meilleur film international. Prédiction : À l’ouest, rien de nouveau. Mon choix : EO de Jerzy Skolimowski.

Sur ce, bons Oscar à qui se rendra au bout de la soirée ! Quelques fidèles indécrottables rouspètent ou applaudissent dans leurs fauteuils d’un cru à l’autre. J’en suis !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo