La France par Jocelyn Coulon

Je ne suis jamais allé en France et je ne pense pas m’y rendre un jour. J’aime le pays de Molière, mais une relation à distance me suffit amplement. La gastronomie ne m’intéresse pas et les lieux, même beaux, ne me parlent qu’après des années d’apprivoisement.

De la France, j’aime sa littérature, son histoire, son cinéma, sa musique et ses idées. Pas besoin d’aller à Parispour ça ; de mon salon, j’ai accès à ces richesses de la plus agréable des façons, presque sans polluer la planète en plus. C’est la culture qui compte ; le reste, c’est du tourisme.

Je ne crache pas, cela dit, sur les rapports de voyage que me font mes compatriotes les plus avisés quand ils vont faire un tour dans la mère patrie. J’ai aimé voir la France de près, avec des yeux québécois, par procuration, grâce aux livres de Louis-Bernard Robitaille sur le sujet et à ceux du couple Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau. Chaque année, mon collègue Christian Rioux m’apporte aussi des nouvelles fraîches de l’esprit des lieux. Il y a trop de voyageurs, c’est clair. Certains, toutefois, sont plus utiles que d’autres.

Le journaliste et politologue Jocelyn Coulon appartient à cette catégorie. Dans Ma France (La Presse, 2023, 204 pages), un recueil de textes inédits empruntant autant à la chronique qu’au reportage, il brosse en toute convivialité un portrait à la fois amoureux et critique du pays de ses ancêtres.

Dans le cas de Coulon, d’ailleurs, cette dernière expression prend un sens direct puisque son père, Jacques, est né à Paris en 1929 et a immigré à Montréal en 1953 avant de marier une fille de Shawinigan. Coulon, par conséquent, ne va pas en France qu’en touriste, mais en véritable cousin, puisqu’il y retrouve des membres de sa famille. À Paris comme à Pau, dans le sud-ouest du pays, il est presque chez lui.

Il constate, depuis 40 ans, « que la distinction entre Canadien et Québécois met du temps à s’imposer en France ». Les Français connaissent le Québec, mais continuent de nous désigner comme des Canadiens, comme si les deux termes étaient synonymes pour eux. Le phénomène, selon Coulon, s’explique notamment par le fait que le Québec n’étant pas un pays, c’est le Canada qui demeure « la référence obligée à l’école dans les cours de géographie ou d’histoire ». Ça marque.

Lors de sa première visite en France, en mai 1980, alors qu’il était un jeune indépendantiste dans la vingtaine, Coulon avait été froissé par cette confusion. Aujourd’hui, devenu fédéraliste, il s’en accommode en disant même que « nous devrions être fiers » de l’idée favorable que se font les Français du Canada. Là, c’est moi qui ne le comprends plus.

Même s’il peut parfois être ferme dans ses prises de position, notamment dans sa critique de la politique étrangère du gouvernement Trudeau, Coulon demeure d’abord et avant tout un intellectuel courtois et délicat. Dans cette promenade française, ces qualités ne le quittent jamais.

Qu’il parle du phénomène des Gilets jaunes ou du débat sur les éoliennes qui agite la France — sont-elles écologiques ou non ? —, il le fait toujours avec le souci de comprendre les camps qui s’opposent et de leur rendre justice. Coulon ne se prononce jamais directement sur ses penchants politiques français, mais Emmanuel Macron, à l’évidence, s’en sort plutôt bien sous sa plume.

La France, constate l’essayiste, est encore le pays du livre, qui « est partout » dans l’Hexagone, particulièrement dans les grands médias écrits et dans le monde politique. Pourtant, là aussi, la popularité du cellulaire menace l’avenir de la lecture. « Pour un cerveau asservi à cette discipline quotidienne, écrit le romancier Abel Quentin que cite Coulon, lire un livre devient un Everest de plus en plus décourageant. »

Première destination touristique au monde, la France fait envie, certes, mais elle n’est pas sans défauts. Son système de santé « est un des meilleurs au monde », reconnaît Coulon, mais les « déserts médicaux », ces régions privées d’accès à un professionnel de la santé, s’y multiplient en zones rurales. La passion française pour l’anglais, quant à elle, a quelque chose de désolant, vue du Québec. « L’anglais est partout », constate Coulon à regret. Patrie des droits de l’homme, la France est aussi, fait moins reluisant, le troisième plus important exportateur d’armes au monde.

Depuis le début du siècle, la thèse du déclin national fait florès en France. Selon certains penseurs populaires, le pays manquerait de courage sur la scène internationale, abandonnerait sa souveraineté à l’Europe, perdrait son identité à cause de l’immigration ou serait menacé d’effondrement économique.

Coulon, en conclusion, réfute ces discours alarmistes. La France, écrit-il, sur les plans militaire, économique et culturel, brille encore dans le monde et demeure « un grand pays et une grande puissance ».

Il l’aime, et moi aussi.

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