Les adieux de Désautels
Bien des éloges ont plu en fin de semaine sur l’animateur Michel Désautels après l’annonce de sa retraite des ondes en juin prochain. Plusieurs saluent sa culture de fond, sa maîtrise de la langue. Bientôt, on n’entendra plus sur la Première Chaîne, à Désautels le dimanche, sa belle voix posée, ses réflexions pertinentes, ses entretiens sur mille sujets : actualité nationale ou internationale, culture d’ici ou d’ailleurs, sport, environnement, nouveaux défis sociaux. S’intéresser à tout, c’est rayonner, donner le goût aux autres de se renseigner davantage, ouvrir le jeu en mettant cartes sur table.
Les gens s’aperçoivent qu’ils perdront quelque chose quand Désautels lâchera le micro à Radio-Canada. Oui, mais quoi, au juste ? À force d’y réfléchir, certains mesurent les gouffres creusés à la radio au fil des ans entre certains professionnels d’une école de rigueur — rattrapés par l’âge, partant les uns après les autres — et des animateurs aux codes différents, moins aguerris, plus familiers avec leurs auditeurs, plus modernes, en somme. Reste que ces derniers déversent souvent trop de rires dans nos oreilles, trop de choeurs de gloussements en cacophonie pure.
Parfois, des connaissances approximatives sur les sujets traités sont difficiles à masquer. Les pannes de transmission et la révolution informatique ont transformé les esprits. Fossé générationnel et miroir sociétal. Oui, le Québec a changé. L’annonce de ce départ, qui s’ajoute à d’autres, en crie l’évidence. Demain, ces nids-de-poule seront-ils colmatés ? Pas de cette manière, en tout cas. On souhaiterait aux jeunes de garder des occasions de mieux s’informer. Vrai qu’ils ne sont guère les plus grands consommateurs de radio. Quand même…
Avoir 50 ans de Radio-Canada derrière la cravate, c’est accrocher ses racines à une boîte qui se voulait par vocation une tribune de qualité désireuse d’entraîner les Québécois vers le savoir, la réflexion, le français châtié à partager. La fréquentation des âges d’or laisse des traces et aide un animateur à garder un pied dans l’histoire. Au fil de la carrière de Désautels, la mission éducatrice s’est dissoute à la Première Chaîne, sans s’effacer complètement. À l’heure du populisme triomphant, malheur à ceux qui pourraient paraître plus évolués ou cultivés que le citoyen lambda, en osant l’inviter à s’éclairer l’esprit ! Le savoir n’est plus un idéal à atteindre, le niveau de langage fléchit à l’avenant. Et les cotes d’écoute, ces censeurs tyranniques, ont droit de vie et de mort sur les émissions. On voit même de vieux routiers abaisser leur niveau de connaissances et de langage pour mieux courtiser l’audience. Tout un chacun prétend, main sur le coeur, voler au secours du français menacé, mais en ondes, nombreux sont ceux qui baissent la garde. Le franglais se fraie un chemin sur bien des lèvres. La minceur de plusieurs bagages culturels est perceptible au micro. À quoi bon s’en encombrer ? se demandent des voix. Qui les encourage à voler plus haut, au juste ?
L’animateur de carrière au petit écran comme à la radio d’État représente un monde qui s’efface en douce. Il faut, dit-on, développer en ondes un journalisme de promiscuité, servir à chacun des mots familiers, pousser des petits cris ou s’extasier bien haut, histoire de maintenir son volage auditoire à l’écoute. On comprend. Le public, épuisé par les crises et effrayé par les défis de l’avenir, veut rire, se délasser, ressentir des émotions en rafales, se griser, s’indigner, s’épivarder, zapper. Avant tout, éviter de se creuser longtemps le coco sur un sujet complexe venu ébranler des certitudes. Pourtant, Désautels n’a pas besoin de mille stratagèmes pour capter l’attention le dimanche matin. Il traite ses auditeurs en êtres intelligents, vulgarise sans infantiliser. Une formule encore gagnante. D’autres gardent la cadence. Mais le gros des mentalités vogue ailleurs. Ça se voit. Ça s’entend.
Plusieurs, à la radio et à la télé, nous renvoient au visage les mutations de nos sociétés. Pas juste au Québec. En France, le niveau décline aussi, envahi par les potins sur les vedettes et des mots anglais si prisés. Aux États-Unis, des gouffres civilisationnels se creusent depuis longtemps. L’Occident ne sait plus quoi faire avec ses héritages, bons ou mauvais. Il les efface, il les voile sous le vent du jour, comme, à la Place des Arts, le spectacle Décembre sur les traditions québécoises, en perte d’amphithéâtre. L’instantanéité balaie les mémoires.
Alors, quand un animateur vraiment professionnel annonce qu’il tire sa révérence, on se désole. On se dit qu’on y perd, et c’est vrai. Reste, pour la suite des choses, à exiger que soit rehaussé en ondes le niveau moyen de qualité. Ne serait-ce qu’afin de garder des lampadaires allumés sur le chemin de la postérité.