Tout ce qui brille n’est pas or
Tout vient à point à qui sait attendre, a dû se dire le député de Saint-Jérôme, Youri Chassin, en donnant conjointement avec le ministre de la Santé, Christian Dubé, le coup d’envoi à la construction des deux mini-hôpitaux privés promis par la Coalition avenir Québec lors de la dernière campagne électorale.
Bien avant son entrée en politique, en 2018, l’ancien directeur de la recherche de l’Institut économique de Montréal s’était fait le promoteur d’une privatisation des services publics, qu’il s’agisse de la SAQ, d’Hydro-Québec ou des CPE.
Dès l’annonce de sa candidature dans Saint-Jérôme, Gaétan Barrette, alors titulaire de la Santé, s’était empressé de conclure sur Twitter que « François Legault veut privatiser le réseau, mais ne le dit pas ». Le député péquiste de Sanguinet, Alain Therrien, qui semblait déjà concéder la victoire à la CAQ, avait déclaré : « Il y aura une teinte Youri Chassin dans le prochain gouvernement, on ne peut pas le nier. »
M. Chassin avait toutes les raisons de croire que M. Legault était disposé à laisser le secteur privé occuper une place plus importante dans la livraison des services de santé. Pour faciliter la fusion avec l’Action démocratique du Québec (ADQ), il avait accepté de reprendre à son compte l’idée d’un projet-pilote pour tester la mixité public-privé en santé.
Une fois devenu premier ministre, il a cependant jugé préférable de mettre l’idée de côté, et ceux qui craignaient de voir M. Chassin se faire l’apôtre des privatisations au sein d’un gouvernement Legault ont poussé un soupir de soulagement.
En ce début de deuxième mandat, la situation n’est plus la même. Le premier ministre a dû se rendre à l’évidence que la CAQ avait été très présomptueuse en promettant de remettre le réseau sur pied rapidement, même avec un ministre dont il vante constamment les mérites.
Certes, la pandémie a considérablement ajouté à la difficulté, mais le rattrapage qu’elle a imposé, conjugué avec la pénurie de main-d’œuvre et la pingrerie d’Ottawa, rend le recours au privé, qui est déjà très répandu, encore plus facile à vendre à une population qui désespère de recevoir les soins auxquels elle a droit.
À première vue, des mini-hôpitaux, vraisemblablement plus conviviaux que des établissements gigantesques, impersonnels et souvent vétustes, où il suffira de présenter sa carte d’assurance maladie, sont évidemment attrayants quand on ne sait plus à quel saint se vouer.
Tout ce qui brille n’est cependant pas or, comme dit le proverbe. La preuve n’est pas faite que le réseau de la santé y gagnera en efficacité. Plusieurs études — relativement anciennes, il est vrai — tendent à démontrer que le privé n’est pas nécessairement plus performant, ni moins coûteux.
Ceux qui investiront dans les mini-hôpitaux ne le feront pas par charité. Ils voudront légitimement en tirer un profit qui justifiera cet investissement, ce qui les incitera à privilégier les cas les moins lourds et les patients les plus jeunes.
En 2016, le gouvernement Couillard avait lancé un projet-pilote, prolongé en 2019 par le gouvernement Legault, qui visait à comparer les coûts d’une intervention chirurgicale d’un jour entre le réseau public et trois cliniques privées, où 75 000 opérations ont été effectuées au coup de 71 millions $.
On ne connaît toujours pas les conclusions qui en ont été tirées. L’automne dernier, une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux a déclaré à un journaliste (par ailleurs médecin) du média indépendant Pivot : « Les résultats comparatifs incluent des données confidentielles des cliniques privées, lesquelles ne peuvent être communiquées. » C’est bien commode.
Alors que la pénurie de main-d’œuvre pose des problèmes insolubles aux gestionnaires du réseau public, au point de devoir légiférer pour rapatrier les infirmières qui ont trouvé refuge dans les agences de placement privées, le gouvernement donne le feu vert à la construction d’établissements, également privés, qui vont à coup sûr leur proposer des conditions de travail qu’elles pourront difficilement refuser.
Il existe un sérieux risque d’entrer dans un cercle vicieux, où l’attrait du privé va encore aggraver la situation du réseau public, ce qui aura pour effet d’accélérer l’exode vers le privé et ainsi de suite.
À l’époque où il était ministre de la Santé, François Legault avait vainement tenté de convaincre le gouvernement auquel il appartenait de la nécessité d’augmenter les impôts pour assurer un meilleur financement du réseau public. Le recours au privé n’était pas la solution, estimait-il. Il est vrai que sa pensée a évolué sur plusieurs plans depuis vingt ans.