Déneiger mieux, mais à quel prix?
Le printemps approche à grands pas, et la saison du grand nettoyage débutera bientôt avec sa valse de balais mécaniques. Quoique le mois de mars nous réserve souvent une dernière bordée de neige printanière. Elle est exaspérante pour bien des personnes, mais très utile pour les services des travaux publics. Un dernier chargement de neige, c’est l’occasion de ramasser les déchets enfouis pendant l’hiver.
Contrairement à son habitude des dernières années, cet hiver a épargné les municipalités. Nous n’avons pas eu trop de grands changements brusques de température à gérer ni trop de tempêtes difficiles à déneiger. Malgré tout, à chaque chute de neige, une forme de fébrilité s’empare de l’opinion publique à la vue de la neige et de la glace. Comme si la routine de la vie — y compris ses déplacements — devait être la même sous une tempête que sous le soleil radieux d’un 17 juillet.
Pourtant, notre efficacité à faire disparaître l’hiver est incontestable. Nous sommes devenus de vrais prestidigitateurs. Par exemple, lors de mon premier mandat comme maire d’arrondissement, déneiger les 400 kilomètres de trottoirs de Rosemont-La Petite-Patrie prenait de dix à douze heures. À mon départ, nous étions en mesure de déneiger tous ces kilomètres en moins de cinq heures, tout en ayant triplé l’abrasif salin pour combattre la glace. Peu importe, c’était tellement mieux avant !
À Montréal, en 2023, le budget de déneigement se situe à plus de 178 millions de dollars, soit une hausse de près de 14 % depuis 2017. Cette année, la Ville de Québec a fait bondir son budget neige de 67 millions à 77 millions. Tout cela sans compter les dépassements de coûts, année après année, à cause des imprévus climatiques.
Évidemment, tout cela ne représente que les coûts directs, ceux que nous connaissons. Que fait-on alors des coûts indirects ? Je parle de ceux liés aux impacts et aux dommages causés à l’environnement, aux infrastructures et au mobilier urbain. Ces dommages que nous verrons bientôt lors du grand ménage du printemps.
Chaque hiver, rien ne résiste aux machines rugissantes et aux lames d’acier qui déferlent sur nos rues et sur nos trottoirs. Les niveleuses exécutent ce pour quoi elles ont été fabriquées. Elles accélèrent l’effacement du marquage au sol, détruisent le colmatage des nids-de-poule et propulsent les couvercles des puisards. Sur les trottoirs, elles accélèrent la détérioration du béton, abîment les arbres, arrachent des bancs de parcs et des supports à vélos. Et que dire de l’impact du sel sur la création de nids-de-poule, sur la végétation, la biodiversité et les conduites souterraines ?
Bref, chaque printemps, on doit réparer tout ce qu’on a détruit l’hiver. Vous allez dire qu’il doit bien y avoir des données sur ces coûts quelque part en ville ! Malheureusement, non. Aucune mesure ni évaluation concrète n’existe pour calculer ces coûts indirects payés avec les mêmes taxes que celles qui paient ce saccage hivernal.
Je vous entends me dire que le climat imprévisible crée des situations qui forcent les autorités publiques à faire mieux, surtout sur les trottoirs et sur les pistes cyclables. Qu’il serait honteux de ne pas se soucier des personnes à mobilité réduite ! Ou encore que ces opérations intensives soient nécessaires pour favoriser les transports actifs et collectifs. Je suis pleinement d’accord.
La question n’est pas là. On doit s’adapter aux changements climatiques, et cela implique d’adapter notre mode de vie et nos attentes envers le déneigement. Continuer à faire comme avant n’est pas la bonne option. Admettre que nous vivons dans un pays nordique serait déjà un bon départ. Heureusement, nous commençons à y arriver avec de plus en plus d’activités hivernales.
Le télétravail nous offre aussi de belles possibilités. Pourquoi ne pas coordonner ces journées avec les tempêtes et ainsi éviter des déplacements difficiles ? Cela permettrait de revoir les opérations dans les rues moins achalandées pour se concentrer davantage sur celles qui demandent plus d’attention en raison du transport collectif et des livraisons.
On pourrait suivre l’exemple de Granby et mettre uniquement de la pierre fracassée dans les rues locales au lieu des centaines de kilos de sel qu’on épand présentement. Et puis, tant qu’à être à la maison, pourquoi ne pas faire comme Calgary et obliger les propriétaires à déneiger le trottoir eux-mêmes devant leur résidence !
Longueuil et Montréal explorent aussi l’usage de l’intelligence artificielle et de données massives pour optimiser les parcours de déneigement et la réponse adaptée aux différentes conditions climatiques sur leur territoire. Car, quand il y a des intempéries, elles ne sont pas équivalentes sur tout le territoire d’une même ville.
Plusieurs solutions peuvent être envisagées. Je dirais surtout que nous devrions avoir une bonne conversation collective sur notre rapport avec l’hiver. Voilà pourquoi un sommet sur l’hiver me semble une bonne occasion. L’Union des municipalités du Québec pourrait prendre ce mandat. Réunissons les chercheurs, les spécialistes de différents horizons, les professionnels et les décideurs publics. Regardons froidement et objectivement comment nous voulons nous adapter et mieux répondre à ces défis. En attendant, on peut toujours rêver au soleil de juillet, ça ne coûte pas cher !