Migrants, encore et toujours

Il y a huit jours, la station balnéaire de Steccato di Cutro, dans la « botte » italienne, était rattrapée par la tragédie. Des vacanciers ont soudain aperçu des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants, échoués sur la plage de sable fin.

Une fois de plus, le drame des migrants revient hanter l’Italie. La Stampa de Turin : « Le massacre des innocents ». Corriere della Sera : « Le bateau se brise à 100 mètres du rivage — le massacre des migrants ». Tristement répétitif.

Dans les jours suivants, controverse sur l’absence de secours, dans le contexte d’une mer agitée, alors que le bateau de bois de 20 mètres, parti de Turquie quatre jours plus tôt avec 200 personnes à bord (dont le tiers mourront), avait pourtant été signalé par un avion de patrouille de l’agence européenne Frontex.

Une bonne part de ces malheureux venaient de Syrie, d’Afghanistan et d’Iran : trois pays — on en conviendra — d’où on peut, en 2023, avoir légitimement envie de s’enfuir.

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Cela fait trois décennies que les vagues de migrants vont et viennent en Méditerranée. Trois décennies au cours desquelles l’Union euro­péenne a tant bien que mal tenté d’agir et où deux pays du front Sud, l’Italie et la Grèce, ont absorbé le gros du choc.

Ce qui a donné, successivement : les « règlements de Dublin » (trois versions entre 1990 et 2013) sur le « pays unique » juridiquement responsable d’une demande d’asile (qui révoltent Grecs et Italiens) ; la création puis la modification de l’agence Frontex (2003-2016), à la fois police frontalière, brigade de sauveteurs et gardes-côtes euro­péens ; puis des « Pactes migratoires » sur papier, pour répartir les migrants entre pays européens — restés hypothétiques.

Sur dix ans, les statistiques (par exemple, celles du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU) sont effarantes.

Depuis le drame fondateur de la dernière vague — au large de l’île de Lampedusa, le 3 octobre 2013, lorsqu’avait sombré un bateau de pêche parti de Libye (368 morts) —, ce sont quelque deux millions et demi de personnes qui ont tenté le voyage clandestin vers l’Europe. Avec la pointe fameuse de 2015 : un million de personnes, soit 2740 par jour en moyenne.

Les contrôles européens, les avions et navires de Frontex — couplés en 2020-2021 aux effets de la pandémie — ont fait passer cette statistique sous les 100 000 par an… mais avec un rebond, en 2022, à nouveau dans les six chiffres.

Les décès ? Plus de 26 000 en dix ans : sept par jour !

Autre chiffre important : durant les années 2013-2017, pas moins de 600 000 migrants sont arrivés en Italie, et y sont restés.

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On sait que l’Italie est aujourd’hui gouvernée par une formation venue de l’extrême droite, dirigée par Giorgia Meloni, connue pour son hostilité à l’accueil des migrants et exprimant l’exaspération d’une bonne partie de la population.

Devant ce nouveau drame, la première ministre — qui tente de se « recentrer » face à l’Europe — a fait part de sa « profonde douleur ». Dans un communiqué, elle déclare qu’il est « criminel de mettre en mer une embarcation de 20 mètres avec 200 personnes à bord et une mauvaise météo ».

Donc « le problème, ce sont les départs », selon les mots du ministre de l’Intérieur : départs qu’il faudrait, selon Rome, décourager à tout prix.

Mais que ce soit pour le « blocage » dans les pays de départ (Rome aurait naguère pactisé avec la mafia des passeurs libyens), les opérations de contrôle et de refoulement (Frontex) ou la répartition des migrants acceptés entre États euro­péens, on piétine.

La dernière version du « Pacte migratoire » lancée par la Commission européenne en 2020, même signée par 21 États, est pratiquement au point mort, en raison des profondes divergences entre États membres sur son application.

Les chiffres sont dérisoires : sur les 8000 offres (pour toute l’Europe) de relocalisation de migrants… à ce jour, seuls 3 % des transferts (240) se sont concrétisés.

On est tragiquement loin du compte, et le problème reste quasiment entier.

 

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

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