Craindre la Chine ou… s’en inspirer?

S’il y a une leçon à retenir de toute la saga entourant l’utilisation au Canada de TikTok, c’est que les gouvernements occidentaux et la Chine ont des politiques d’encadrement du numérique diamétralement opposées. Et si l’approche occidentale a du bon, peut-être que certaines mesures chinoises mériteraient d’être étudiées de plus près.

L’une de ces mesures est l’imposition d’une limite sur l’utilisation par les mineurs des réseaux sociaux et des jeux vidéo. Là-dessus, la Chine est extrêmement sévère. Les Chinois de moins de 18 ans ne peuvent pas dépasser les trois heures de jeu vidéo en ligne par semaine. Ils ne peuvent le faire qu’à raison d’une heure par jour, le vendredi, le samedi et le dimanche.

Le gouvernement chinois a ainsi resserré une contrainte qui empêchait les jeunes d’accéder aux jeux vidéo en ligne entre 22 h et 8 h. Là, c’est permis seulement entre 20 h et 21 h.

L’encadrement est strict, mais il ne bloque pas tout. Les jeunes peuvent jouer à tous les jeux vidéo qu’ils veulent et aussi longtemps qu’ils le souhaitent, pour autant qu’ils ne sont pas connectés à Internet.

Au cours des prochaines semaines, une restriction similaire sera imposée sur le réseau TikTok par la société qui en est le propriétaire, ByteDance. Le groupe chinois a annoncé la semaine dernière qu’elle limiterait quotidiennement à 60 minutes le temps passé sur son réseau social par ses utilisateurs qui sont âgés de moins de 18 ans.

C’est une restriction relativement souple : après les 60 minutes épuisées, les jeunes utilisateurs devront entrer un code d’accès pour continuer à regarder des vidéos. Ce temps d’accès supplémentaire sera tout de même limité à 30 minutes dans le cas d’utilisateurs âgés de moins de 13 ans. Pour eux, le code d’accès devra être obtenu de leurs parents.

« L’opium du (jeune) peuple »

Le responsable de la sécurité de TikTok, Cormac Keenan, a écrit sur le blogue de l’entreprise que celle-ci avait compris que des parents ont de la difficulté à limiter le temps passé par leurs enfants sur l’application. Des parents qui sont nombreux : près de la moitié des abonnés à TikTok a moins de 25 ans, et le quart a 18 ans ou moins.

C’est sans doute une énorme coïncidence : cette nouvelle fonction a été annoncée quelques jours avant que le patron de TikTok se présente en personne devant le Congrès américain, aux côtés de ses homologues d’autres réseaux sociaux populaires auprès des jeunes, pour présenter ce qui est fait pour protéger la santé des mineurs.

Des élus américains s’inquiètent de l’impact des réseaux sociaux et des jeux vidéo sur la santé mentale et physique des enfants et des adolescents : baisse de la vision, manque d’activité physique, troubles de concentration, etc.

Non sans ironie, ces inquiétudes rejoignent celles du gouvernement chinois. Ce dernier compare les jeux vidéo en ligne à de « l’opium mental » pour les jeunes joueurs accros à leur console ou à leur mobile. « L’opium du peuple » est une expression utilisée par les adeptes de l’idéologie marxiste pour parler de la religion.

Plus récemment, l’expression a été reprise pour critiquer l’effet aliénant de la télévision sur le public. En 2023, il semble que la nouvelle dépendance se trouve sur Internet : jeux vidéo, réseaux sociaux, etc.

Au-delà de TikTok

Au Québec, les mêmes inquiétudes que partagent Pékin et Washington sont derrière une action collective intentée contre Epic Games. Des parents trouvent que Fortnite, son jeu en ligne massivement multijoueur, crée une très forte dépendance chez les jeunes. Pour illustrer la situation, ils ne citent pas l’opium. Ils parlent plutôt de cocaïne.

À la fin février, la Cour d’appel du Québec a rejeté un appel d’Epic Games et a permis à l’action collective d’aller de l’avant. L’éditeur américain, qui possède des bureaux à Montréal, a les moyens financiers et peut-être l’intention d’en appeler une autre fois, devant la Cour suprême ce coup-ci. Sinon, la poursuite ira de l’avant.

Sans surprise, les mécanismes utilisés pour rendre Fortnite plus séduisant auprès des amateurs de jeux vidéo s’apparentent à ceux utilités par TikTok pour accrocher ses propres utilisateurs : la gratification quasi instantanée produite par de courtes séances d’immersion donne le goût d’y revenir de plus en plus souvent.

Cette gratification n’est cependant pas entièrement satisfaisante. Elle est calculée pour renforcer le besoin de consommer davantage du contenu proposé. Dans le cas de Fortnite, il y a un aspect pécuniaire : les joueurs sont incités à dépenser pour améliorer leur expérience vidéoludique. Et ils peuvent dépenser gros.

Voilà un autre étonnant hasard : ni TikTok ni Fortnite ne sont accessibles à partir de l’Internet chinois. Pékin ne lésine pas et expulse de son réseau hautement contrôlé tout ce que le gouvernement central considère être une perte de temps ou une mauvaise influence pour ses enfants.

Évidemment, la Chine a agi de façon extrême. Mais les gouvernements et le public occidentaux partagent ses craintes relatives à l’effet néfaste sur la santé des plus jeunes internautes des réseaux sociaux et des jeux vidéo.

Leur réaction pour le moment est de laisser la cour et des comités ponctuels trancher. Mais peut-être qu’un encadrement plus strict du secteur numérique éviterait les futurs dérapages sans limiter son essor.

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