Désirer autre chose

Le mois dernier, la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal publiait son rapport annuel sur l’État de l’énergie au Québec, dans lequel on brossait un portrait démoralisant des habitudes énergétiques des Québécois. Nous vivons dans un état « d’ébriété énergétique », concluait-on, et la tendance à la hausse de la consommation d’énergie sabote l’espoir d’atteindre nos objectifs climatiques.

La consommation de produits pétroliers est en hausse, les villes s’étalent et les habitations sont toujours plus énergivores. Les Québécois achètent des voitures toujours plus énormes et plus gourmandes. Les maisons, toujours plus grandes, se répartissent de manière éparse en périphérie des centres urbains, et il faut donc toujours plus d’infrastructures routières pour accommoder ce mode de vie. Ce sont des choses que l’on sait, que l’on voit, mais le bilan n’en est pas moins frappant. Nous faisons l’exact contraire de ce qu’il faudrait faire. Le comble, c’est que nous trouvons malgré tout le moyen de nous bercer d’illusions.

Lors de la publication du rapport l’État de l’énergie, Pierre-Olivier Pineau, le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, soulignait l’urgence de mettre en oeuvre des mesures qui inciteront réellement les Québécois à réduire leur consommation d’énergie, laquelle est carrément irresponsable. Or, si un virage à 180 degrés est nécessaire dans nos habitudes de consommation, les solutions sont beaucoup plus simples et conviviales que notre réticence à les appliquer ne le laisse présager.

Du moins, c’est la proposition qu’étaye le chercheur dans L’équilibre énergétique, un essai concis et limpide paru il y a quelques semaines. Le livre décortique les contradictions et les idées reçues qui alimentent le statu quo énergétique au Québec, et soutient que non seulement les solutions pour réussir la transition énergétique sont accessibles, mais qu’elles se traduiraient aussi davantage en amélioration de notre qualité de vie qu’en sacrifices pénibles.

Le discours que nous tenons sur nous-mêmes en matière de transition énergétique est fondé sur le fantasme que nous ne serions pas réellement de gros pollueurs. Ce mirage, me semble-t-il, est alimenté par un drôle d’alliage entre la fierté hydroélectrique (notre énergie est plus propre qu’ailleurs, se dit-on) et un empressement à désigner les économies émergentes du Sud global comme la véritable menace, avec leur ambition d’imiter le style de vie occidental. Or L’équilibre énergétique dissipe entièrement cette illusion. Par exemple, l’auteur souligne que, même si le Québec s’illustre pour la part d’énergies renouvelables qu’il produit, notre consommation totale d’énergie montre que c’est à nous que revient le bonnet d’âne.

L’essai met aussi en relief une évidence : il est urgent d’apprivoiser la notion de limite. Peu importe les béquilles technologiques qui s’offrent à nous, il faut apprendre à consommer globalement beaucoup moins d’énergie. La prolifération des technologies écoénergétiques, explique très bien Pierre-Olivier Pineau, a un « effet de rebond » pernicieux. Celles-ci ont l’effet d’un dédouanement ; on mobilise des technologies plus efficaces, mais, au bilan, on reste pris avec la même inflation énergétique. L’accent devrait plutôt être mis sur la recherche, oui, de l’efficacité énergétique, mais dans la perspective de réduire considérablement notre consommation totale.

La bonne nouvelle, c’est que, pour y arriver, la plupart des solutions sont déjà là, toutes simples et à notre portée. Le problème, c’est qu’on les discrédite en les rangeant dans la catégorie des styles de vie inatteignables ou irréalistes.

Prenons seulement la question du transport. Le vélo, indique Pierre-Olivier Pineau, est 18 fois plus efficace énergétiquement que le transport en voiture individuelle. Or la promotion des transports actifs s’enlise constamment dans un discours voulant que ceux-ci soient hors d’atteinte pour la majorité des gens — parce qu’ils vivent en périphérie des centres, parce que les infrastructures urbaines ne sont pas adaptées.

Dans l’état actuel des choses, ce n’est pas faux. Sauf que c’est le serpent qui se mord la queue : ce sont les choix que nous continuons à faire en matière d’aménagement du territoire qui produisent la dépendance à l’automobile et qui disqualifient les transports actifs. On oublie de mentionner qu’il n’en tient qu’à nous d’offrir aux citoyens l’occasion de faire des choix à la fois plus sobres et plus efficaces énergétiquement. C’est vrai en matière de transport, mais c’est tout aussi vrai en matière d’habitation, d’alimentation, de loisirs…

Pour apprendre à désirer autre chose que le mode de vie destructeur qui est le nôtre, il faut créer collectivement les conditions favorables à une transformation profonde de nos façons de vivre. Il ne s’agit pas de promouvoir l’ascèse individuelle tout en laissant les citoyens seuls face à cette responsabilité. Contrairement à ce que suggérait récemment le ministre Pierre Fitzgibbon, la sobriété énergétique ne se résume pas à encourager les Québécois à démarrer leur lave-vaisselle à minuit.

Il s’agit plutôt de s’engager collectivement à construire des villes à échelle humaine, à promouvoir un régime alimentaire moins énergivore, à habiter des logements plus abordables et plus efficaces énergétiquement. Or le livre de Pierre-Olivier Pineau le démontre de manière éclatante : tout le monde gagnerait au change et nos vies seraient globalement plus agréables.

Chroniqueuse spécialisée dans les enjeux de justice environnementale, Aurélie Lanctôt est doctorante en droit à l’Université McGill.

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