Miroir, miroir, dis-moi qui est le meilleur parent?

La semaine dernière, je lançais, sous ma chronique, un premier appel aux récits sur votre parentalité. Encore une fois, vous m’avez offert de ces petites perles d’humanité, de ces regards à la fois lucides et doux sur vos regrets, vos apprentissages, votre chemin.

La clinique, des deux côtés de la chaise, ma propre vie de mère et de belle-mère m’ont appris que cela peut parfois prendre des années, des répétitions souffrantes des mêmes scénarios relationnels, un glissement de plus sur la génération qui suit, avant que nous acceptions de nous voir tels que nous sommes, sans fard, sans complaisance. Le philosophe Paul Ricoeur parlait de l’identité narrative pour définir ce besoin, essentiellement humain, de conserver une forme de cohérence dans le récit qu’une personne se fait d’elle-même. Les conflits, les événements qui nous surprennent, nous blessent, les maladies, les pertes, l’altérité nous forcent constamment à reprendre le fil de notre narration identitaire pour y intégrer des aspects moins flatteurs qui nous sont révélés constamment. Évidemment, la narration qu’on se fait de soi implique toujours les autres qui, tels des « co-auteurs de notre vie », nous racontent aussi qui nous sommes.

Elle est là, peut-être, la grande souffrance parentale contemporaine, dans ce besoin absolu d’être perçus par nos enfants d’une manière qui ne nous forcerait pas à intégrer à notre identité narrative des éléments plus difficiles, particulièrement si ces mêmes éléments étaient ceux que l’on détestait… chez nos parents.

Ce désir de faire mieux que la génération qui nous précède n’est pas, on le sait, l’apanage de notre seule époque. Qu’il soit représenté par la bonne vieille mythologie oedipienne ou orestienne, il y a bien, dans l’histoire de l’humanité, cet archétype d’une vaste course de relais entre les générations, dans laquelle la plus jeune souhaite porter le témoin plus loin que là où l’avait mené la plus vieille.

Notre époque se caractérise par un discours qui, en contrepoids à toute une violence trop longtemps légitimée dans nos institutions sociofamiliales, réclame une bonne dose de bienveillance, valorise la qualité de présence, d’écoute et d’empathie, tout en exécrant les rapports de pouvoir. Dans la parentalité, cela s’incarne dans un désir de rester centrés sur un ajustement aux besoins des enfants, à condamner l’égocentrisme parental, mais, surtout, à ne pas reproduire ce que nous avons potentiellement vécu, enfants : abandon, violence, humiliation, etc.

Tout cela a du sens et ne peut être contrecarré par un discours nostalgique qui réclamerait qu’on revienne à ce temps béni où on pouvait, en toute impunité, faire n’importe comment avec nos enfants. Cette époque est révolue, heureusement, et le mépris adressé aux parents contemporains relève souvent d’une quelconque envie éprouvée en raison d’un résidu d’une enfance maltraitée toujours existant en nous.

Or, ce qui m’inquiète dans la parentalité valorisée de notre époque, c’est la violence qu’elle perpétue, parfois malgré elle, envers l’enfant, devenu parent. Je m’explique. L’enfant abusé, négligé ou inconsidéré des années 1970, 1980 ou 1990, maintenant devenu parent, se réinstalle, dans une forme parfois subtile, d’autres fois très franche, de la même dynamique relationnelle souffrante subie dans l’enfance. Au nom du lien, autrefois à ses parents, aujourd’hui à son enfant, il peut continuer de négliger ses propres besoins, faire violence à toute une part de lui nécessaire à sa vitalité et ignorer ses propres désirs dans un but inespéré d’être enfin vu, reconnu, comme étant suffisant aux attentes. En se soumettant ainsi à cet autre maintenant projeté sur son enfant, il porte peut-être cet espoir chuchoté en lui-même « dis-moi s’il te plaît que je suis suffisant, que je suis bon, que tu me vois comme étant aimable ».

Une forme de négligence de soi perpétuelle devient malheureusement le fil continu de l’identité narrative de bien des parents contemporains. Combien de parents, anciens enfants battus, négligés, oubliés la clé dans le cou avec un repas congelé à se faire chauffer dans un micro-ondes Panasonic, sont maintenant pris dans des dynamiques parentales où la seule idée que leurs enfants leur reprocheraient de ne pas être à la hauteur les replonge automatiquement dans leur drame infantile ?

Alors que la clinique de l’enfant, traditionnellement, visait un plus grand ajustement du parent aux besoins du « sujet-enfant », j’ai parfois l’impression de vivre une sorte d’inversement de la tâche clinique, du moins dans un premier temps.

Il y a de plus en plus souvent devant moi un adolescent qui ne sait que faire de l’autre, souffrant de n’avoir jamais appris à composer avec une intersubjectivité qui n’est pas organisée vers la satisfaction d’une seule des deux personnes impliquées dans le lien.

Comme l'enfant est emprisonné dans une injonction à ne plus exister au dehors de cette bulle irréprochable qu’est la relation parent-enfant, ses symptômes deviennent parfois son seul moyen de mettre en échec le besoin si grand du parent de se sentir compétent. Ce qui m’attriste encore davantage, c’est quand ce symptôme mène à une pathologisation qui figera le tout dans une identité diagnostiquée de manière permanente, qui ne permettra plus de remettre en question le théâtre qui se tramait sous les apparences. Imaginons des parents séparés, en compétition pour la palme du meilleur parent, et le tout se retrouve parfois décuplé, menant à des délires procéduraux qui finissent par vider l’enfant de toute capacité d’être en lien authentique à l’autre.

Malgré ses révolutions apparentes, la parentalité contemporaine n’est peut-être ainsi pas si différente de celle qui la précédait. Elle est encore remplie d’enfants blessés, tapis dans des parents qui font de leur mieux.

Appel aux récits

Et si vous racontiez ce que votre parentalité vous a révélé sur vous-mêmes, en toute authenticité ?



Psychologue clinicienne, Nathalie Plaat est autrice et enseignante à l’Université de Sherbrooke.



À voir en vidéo