Mieux étudier (et enseigner) avec Willingham

Je vous ai déjà parlé de Daniel T. Willingham. Éminent psychologue cognitiviste américain, il a publié depuis une quinzaine d’années des écrits remarquables destinés aux enseignants et aux étudiants. Ils les outillent pour distinguer entre ce qui est (plus) scientifiquement fondé, ce qui ne l’est pas, et ce qui relève carrément de la pseudoscience ; ils leur suggèrent, partant de là, des moyens d’appliquer tout ce qui s’ensuit.

Willingham a longtemps tenu une superbe chronique dans la revue American Educator. En se basant sur la recherche crédible, il y répondait à des questions très concrètes que lui posaient des enseignants.

Il a aussi publié six ouvrages importants en éducation. Le plus récent vient tout juste de sortir. Il a pour titre : Outsmart Your Brain. Why Learning Is Hard and How You Can Make It Easy. Bref : « Être plus malin que son cerveau. Pourquoi apprendre est difficile et comment faire pour se faciliter la tâche ». On peut espérer qu’il sera bientôt traduit en français.

Willingham raconte dans ce livre comment il en est venu à travailler et à intervenir en éducation. Cela mérite d’être rappelé.

Un parcours

Après un doctorat en sciences cognitives consacré à l’apprentissage, Willingham devient professeur d’université et chercheur dans ce domaine.

Dix ans plus tard, on lui demande de donner une conférence sur l’apprentissage à 500 enseignants. Il est tenté de refuser, persuadé qu’ils savent parfaitement tout ce qu’il pourrait vouloir leur dire à ce sujet. À reculons, il y va tout de même et présente aux enseignantes et enseignants, écrit-il, « des choses qu’on apprend dans son tout premier cours sur l’apprentissage » en sciences cognitives. À sa grande surprise, sa conférence est un succès. Les enseignants ne connaissaient à peu près rien de tout cela et jugent ces connaissances fort utiles.

Le parcours professionnel de Willingham va changer à partir de ce moment et devenir ce que j’en ai dit plus haut.

Dans son dernier livre, que je recommande chaudement, il donne justement des conseils très pratico-pratiques tirés des données probantes.

Voici quelques-uns des sujets abordés. Comment écouter un cours ? Comment prendre des notes ? Comment étudier pour un examen ? Comment savoir si on est prêt à le passer ? Comment vaincre la procrastination ? Comment gérer l’anxiété ?

Pour vous donner envie de le lire (et, qui sait ?, à un éditeur celle de le traduire), voici quelques exemples tirés de cet incontournable ouvrage. Ils portent sur la meilleure manière de lire des livres difficiles — comme le sont justement les manuels.

Plus malin que son cerveau

Willingham donne d’abord un court texte (une dizaine de lignes…) portant sur le projet Manhattan, un texte qu’on pourrait bien trouver dans un manuel. Or, la dernière phrase contredit la première… mais, à l’épreuve, 40 % des étudiants ne le remarquèrent pas.

Quand ils lisent, comme nous, ils font très attention aux mots nouveaux, à la grammaire et cherchent à comprendre isolément chacune des phrases. Mais comprendre, c’est plus que cela. On doit, et cela est crucial, pouvoir repenser globalement la signification de ce qu’on lit, notamment parce que les phrases peuvent avoir des significations bien différentes selon leur contexte. Ça demande un effort. Votre cerveau préférera lire pour le plaisir, ne pas trop se fatiguer à coordonner les idées et se fier à l’auteur pour faire les liens.

Pour être plus malin que lui, il vous faudra « utiliser des stratégies de compréhension spécialisées qui correspondent à la fois au type de matériel que vous lisez et aux objectifs que vous vous êtes fixés pour le lire ».

Des exemples ?

Aux élèves et étudiants, il recommande ce qui suit. Ne faites pas ce que la plupart des gens font, à savoir lire et surligner ce qui vous semble essentiel. Vous n’avez pas vraiment, en commençant, ce qu’il faut pour en juger.

Donnez-vous une tâche concrète à accomplir pendant la lecture. La plus connue a été proposée il y a plus de 80 ans et s’appelle, en anglais, SQ3R, pour survey, question, read, recite and review.

Prenez des notes au fur et à mesure de votre lecture, des notes inspirées de votre objectif de lecture. Vous éviterez ainsi de faire de la lecture, disons, décontractée.

Prévoyez du temps que vous allez consacrer à votre lecture en y mettant les efforts que cela demande.

Aux enseignantes et enseignants, il recommande ce qui suit. Ne présumez pas que vos étudiantes et étudiants savent lire et enseignez-leur les bonnes stratégies de lecture.

Au besoin, faites en classe une activité qui montre qu’ils comprennent peut-être moins bien qu’ils le pensent. Cela pourrait concerner le projet Manhattan…

Soyez très clairs sur les raisons pour lesquelles vous demandez de faire telle lecture et sur ce que les élèves ou étudiants devraient en tirer.

Si votre souhait est qu’ils et elles lisent en profondeur, que votre cours soit à la hauteur de cette attente. Le nombre de pages assigné devrait par exemple être raisonnable, et les évaluations porter sur la lecture approfondie attendue, et non sur le rappel de simples faits.

Bonne lecture (pas décontractée : approfondie !) de ce très riche ouvrage, qui vous fera faire de belles découvertes.
 

Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.

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