Le dilemme annuel des actionnaires dirigeants

Si le début de l’année est associé au blitz des cotisations REER de dernière minute, c’est aussi une période intense pour de nombreux entrepreneurs ou professionnels incorporés. La déclaration de revenus T5 devant être produite au plus tard le dernier jour de février, ceux-ci doivent se questionner sur le montant de dividende à verser en fonction des résultats de l’entreprise. Plus la date de la fin de l’exercice se rapproche de la fin de l’année civile, plus le délai pour faire ce calcul est serré.

Plusieurs raisons motivent la décision d’incorporer les activités d’une entreprise. Au premier chef, la capacité pour son propriétaire de contrôler et de limiter son imposition personnelle. En travaillant avec des entrepreneurs, j’ai pu observer au fil du temps qu’il existait un préjugé général favorable quant à la rémunération par dividende. Reste que le dilemme entre salaire et dividende demeure un vrai mystère pour plusieurs.

Petite entreprise, grandes questions

Lorsqu’une entreprise devient mature ou atteint une taille importante et que ses bénéfices sont substantiels, la quête d’une certaine stabilité pousse souvent sa direction à réfléchir à la rémunération de ses dirigeants. Le choix entre salaire et dividende est un dilemme qui prend une importance toute particulière chez les actionnaires dirigeants de petites entreprises. En effet, depuis la réforme fiscale du ministre Morneau, en 2018, la réduction graduelle des taux d’imposition des sociétés a eu pour conséquence d’augmenter, en parallèle, le taux d’imposition des dividendes, avec pour conséquence une perte de l’avantage autrefois assez marqué en faveur du dividende.

Potentiellement, la rémunération par dividende peut même entraîner une surimposition défavorable, notamment dans le cas des sociétés qui ne sont pas admissibles à la DPE (déduction pour petite entreprise) au Québec (selon la règle des 5500 heures travaillées), ce qui est le cas de nombreuses très petites entreprises ou de professionnels incorporés.

Rappelez-vous que le salaire permet de réduire les impôts de la société, alors que le dividende est versé à partir des bénéfices nets. Tous ces éléments combinés, il est probable que, si votre entreprise est imposée au « taux moyen » (DPE au fédéral seulement) et que vos besoins personnels sont importants, l’avantage comparatif se fera en faveur du salaire.

Même si, en théorie, lorsque l’entreprise bénéficie de la DPE, le dividende demeure fiscalement favorable au salaire dans la majorité des scénarios, d’autres éléments plus subjectifs doivent être considérés dans votre analyse. La valeur de la rente projetée à la RRQ (Régie des rentes du Québec), la possibilité de se qualifier à la DPE au provincial en augmentant les heures travaillées, le profil d’investisseur de l’actionnaire et sa situation familiale ne sont que quelques-uns des autres facteurs qui doivent être considérés en complément aux calculs des liquidités immédiates des entreprises.

Une approche basée sur la gestion des liquidités

Afin d’optimiser la fiscalité de l’actionnaire, une analyse exigeante et totalement personnalisée doit être réalisée pour trouver le meilleur taux effectif marginal d’imposition (TEMI). Rappelons qu’avec la règle d’intégration, l’exercice des activités d’entreprise sous une structure de société par actions ne permet pas d’annuler, comme par magie, les impôts, mais plutôt de les reporter dans le temps.

Tous les calculs de comparaison entre salaire et dividende devraient conséquemment intégrer les besoins réels pour financer le coût de vie et les autres revenus déjà disponibles, le cas échéant. Chaque situation est unique, mais plus le revenu requis est important, plus l’option du salaire gagne à être envisagée. Si vous n’avez pas revu votre mode de rémunération depuis 2018, peut-être serait-il temps de mettre à l’épreuve votre résistance au changement ?

Par ailleurs, dans le cas d’une entreprise qui compte plusieurs actionnaires, cet exercice devra être réalisé dans le cadre d’une planification financière individuelle. Il est tout à fait probable que les actionnaires ne présentent pas la même réalité et que la structure de détention des actions doive éventuellement être revue afin de recourir aux sociétés de gestion personnelles.

La gestion des liquidités est l’élément clé de la réussite en entreprise. Les entreprises de petite taille, en démarrage et en croissance, peuvent apprécier la souplesse que permet la rémunération par dividende, puisqu’il n’est alors pas requis de se préoccuper des retenues à la source. Mais de l’autre côté du spectre, la capacité de l’actionnaire à gérer ses propres liquidités pourrait bien représenter un critère plus qualitatif que financier permettant de statuer sur la rémunération à retenir.

Votre comptable ne sautera pas de joie si vous décidez de modifier votre déclaration de dividendes lundi matin, même si en théorie il est toujours possible de le faire. Que vous soyez nouvellement incorporé ou que vous ayez des doutes, l’idéal est simplement de recourir aux avances à l’actionnaire dans les prochains mois pour couvrir vos besoins temporairement. Cela vous laissera le temps de faire l’exercice d’analyse complète vous permettant de statuer d’ici la fin du prochain exercice financier de votre entreprise quelle formule est la plus avantageuse. Il arrive parfois que ce soit une recette mixte.

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