Une guerre sans fin

À la veille du premier anniversaire de l’invasion russe, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) s’est penchée jeudi sur une résolution exigeant le retrait immédiat des troupes de Vladimir Poutine du territoire ukrainien. À New York pour annoncer l’appui du Canada à cette énième résolution condamnant l’agression russe, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a imploré tous les pays membres de l’ONU de « choisir la paix » en votant pour. « La guerre de la Russie contre l’Ukraine est injustifiable. Elle est illégale. Elle est cruelle et inhumaine. Il faut y mettre fin », a-t-elle dit devant l’assemblée onusienne.

Or, dans une entrevue accordée au journal Politico en marge de la Conférence de Munich sur la sécurité, la fin de semaine dernière, Mme Joly avait adopté un ton beaucoup plus belliqueux à l’endroit de la Russie. « Ce n’est pas le moment de parler de la paix. C’est le moment [d’]armer [les Ukrainiens] », avait-elle alors lancé. Ses deux déclarations ne sont pas forcément contradictoires. On peut très bien souhaiter la paix tout en préparant la guerre.

D’autres pays préconisent toutefois l’amorce de négociations de paix avec la Russie après un an de guerre horrible — c’est le cas, notamment, de la Chine, qui a rendu publique vendredi une proposition à cet effet. Bien que l’on puisse contester la bonne foi de Pékin dans ce dossier, il faut aussi noter que le Canada évite soigneusement toute référence à une éventuelle fin diplomatique de ce conflit qui marque notre époque et dont les conséquences pour l’avenir de l’ordre mondial seront déterminantes.

Cette réserve tranche avec l’attitude d’Emmanuel Macron, dont les déclarations sur la guerre suscitent immanquablement la controverse. Dans une entrevue accordée au Figaro dans l’avion qui le ramenait de Munich, le président français a dit souhaiter la défaite de la Russie en Ukraine. « Mais je suis convaincu qu’à la fin, ça ne se conclura pas militairement, a-t-il ajouté. Je ne pense pas, comme certains, qu’il faut défaire la Russie totalement, l’attaquer sur son sol. Ces observateurs veulent avant tout écraser la Russie. Cela n’a jamais été la position de la France et cela ne le sera jamais. » Le président français se distingue des autres chefs des pays membres de l’OTAN — à l’exception de Recep Erdoğan, de la Turquie, et de Viktor Orbán, de la Hongrie — en considérant M. Poutine comme quelqu’un de toujours fréquentable.

Souvent perçu comme assis entre deux chaises en matière d’affaires internationales, le Canada a cette fois-ci résolument choisi son camp. Notre aide octroyée à l’Ukraine dans la dernière année se chiffre à plus de cinq milliards de dollars, ce qui nous place en cinquième position derrière les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Certes, Washington finance l’effort de guerre de l’Ukraine plus que tous les autres pays réunis. En un an, les États-Unis ont fourni à Kiev plus de 70 milliards de dollars américains en aide militaire, humanitaire et financière.

Et alors que le président américain, Joe Biden, promet d’accélérer l’envoi d’armes, malgré les sursauts courroucés de quelques républicains au Congrès, l’aide militaire canadienne, elle, atteint ses limites. Mme Joly s’est vantée, lors d’une visite en Ukraine la semaine dernière, de l’arrivée en Pologne des quatre chars Leopard 2 promis par le Canada. Justin Trudeau a annoncé vendredi l’envoi de quatre chars additionnels. Mais le Canada, dont l’arsenal est presque à sec, aura du mal à continuer de fournir des armes à l’Ukraine si le conflit perdure.

Mme Joly met ainsi l’accent sur les efforts que fait le Canada pour aider les organisations non gouvernementales à distribuer l’aide humanitaire en Ukraine et pour soutenir les autorités ukrainiennes dans leurs enquêtes visant à documenter les présumés crimes de guerre et crimes contre l’humanité de la Russie en vue d’éventuels procès devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale. La ministre Joly milite aussi pour la mise sur pied d’un tribunal spécial qui enquêterait sur les crimes d’agression commis par la Russie et qui pourrait ensuite engager des poursuites, les autres instances internationales n’étant pas habilitées à régler de tels litiges.

Le gouvernement Trudeau évite toutefois de désigner la Russie comme un État soutenant le terrorisme, comme le demandent le Congrès ukrainien canadien et certains parlementaires fédéraux afin que les victimes d’activités terroristes russes puissent intenter des poursuites en dommages contre la Russie devant les tribunaux canadiens. Seuls la Syrie et l’Iran sont actuellement inscrits sur la liste canadienne des États soutenant le terrorisme, liste qui n’a pas bougé depuis que l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper a fait adopter la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme, en 2012. L’ajout de la Russie à cette liste d’États parias forcerait le Canada à rompre ses relations diplomatiques avec Moscou. Beaucoup d’entreprises canadiennes s’y opposent, car elles craignent les représailles russes.

En fin de compte, jeudi, 140 pays de l’ONU se sont joints au Canada en votant pour cette résolution non contraignante sommant la Russie de cesser les hostilités en Ukraine. Sept pays ont voté contre. La Syrie, la Biélorussie, la Corée du Nord, le Mali, le Nicaragua et l’Érythrée ont appuyé la Russie. Le représentant russe à l’ONU a accusé les pays occidentaux d’être « prêts à plonger le monde entier dans les abysses de la guerre ». Trente-deux pays, dont la Chine et l’Inde, se sont abstenus de voter. Après un an, cette guerre ne tire manifestement pas à sa fin. Un deuxième anniversaire semble très probable.

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