Le monde est saoul

Les vapeurs relaxantes des spas nordiques, ici au Bota Bota, consomment beaucoup d'énergie, particulièrement l'hiver. L'ébriété énergétique est aussi synonyme de luxe, de calme et de volupté.
Photo: Valérian Mazataud archives Le Devoir Les vapeurs relaxantes des spas nordiques, ici au Bota Bota, consomment beaucoup d'énergie, particulièrement l'hiver. L'ébriété énergétique est aussi synonyme de luxe, de calme et de volupté.

Il y a un an, une fois le choc d’une guerre et du désastre humain encaissé, j’ai appelé un concessionnaire de voitures électriques. Ben non, pas une Tesla, j’ai pris la moins chère sur le marché. L’énergie devenait un enjeu de premier plan ; la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine a provoqué un nouvel ordre mondial des approvisionnements en combustibles fossiles. Le fournisseur venait de changer.

Lorsque l’auto est arrivée neuf mois plus tard (aujourd’hui, c’est plus de deux ans pour la même), la guerre n’était toujours pas terminée. Et nous n’avons jamais autant entendu parler de sobriété énergétique qu’en 2022.

L’Élysée se chauffe à 19 °C de l’autre côté de l’océan, les cols roulés sont tendance, les tites tuques aussi et le ministre Fitzgibbon testait la température de l’eau en nous enjoignant de démarrer nos lave-vaisselle à minuit, une atteinte de plein fouet à nos libertés individuelles (j’ironise).

Il aurait peut-être dû parler des spas. En matière d’« ébriété énergétique » (voir l’État de l’énergie au Québec 2023, publié la semaine dernière), un spa utilisé une fois par semaine consomme plus annuellement que ma nouvelle bagnole, qui fera en moyenne 15 000 km/an. Ça me coûtera 312,73 $ (2790 kWh/an) pour faire le plein, contre 430,76 $ (4667 kWh/an) pour un spa utilisé une fois par semaine selon le calculateur d’Hydro.

Vous me direz, il y a davantage d’autos que de spas. Vrai.

Et pourtant, la culture du spa n’est pas près de s’évaporer si j’en juge par le nombre de clients au spa extérieur Bota Bota — les transports en commun, si on compare au Jacuzzi individuel —, rempli à craquer de jeunes millénariaux cette semaine. Moyenne d’âge : 32 ans, à vue de nez (mais je n’avais pas mes lunettes). Tous dans un état d’ébriété énergétique avancé à -10 °Celsius en février.

Je parle de spas, mais je pourrais mentionner mille autres choses qui font partie de nos modes de vie intouchables. Tiens, le centre d’achat Place Versailles qui brûle sa neige au gaz dit naturel, à la une de La Presse lundi. Nous avons l’habitude de gaspiller ce qui ne coûte pas cher.

J’aime Hydro, un peu, beaucoup, à la folie.

L’auto électrique vient avec une prise de conscience directe de la ressource. La pièce de théâtre J’aime Hydro, portée par la comédienne et enquêtrice Christine Beaulieu, a fait un excellent boulot pour ça aussi. Normand Mousseau, directeur scientifique à l’Institut d’énergie Trottier, a vu plusieurs moutures de la pièce de théâtre et Sophie Brochu, la future ex-p.-d.g. d’Hydro, s’en est inspirée aussi. On connaît la suite…

Vous ne pouvez mettre en place une politique énergétique simplement comme une affaire purement économique. C’est un enjeu de politique étrangère depuis toujours.

 

Lorsque vous entendez François Legault répéter qu’il nous faudra ½ Hydro-Québec en plus, c’est à l’Institut Trottier qu’il fait référence. « L’enjeu au Québec, ce n’est pas l’auto, m’explique Normand Mousseau. Cela ira chercher environ 15 % de ce que l’on produit par année. » Non, l’enjeu, c’est le bâtiment : les bâtiments commerciaux, nos maisons et tout le secteur manufacturier. Nos logis sont trop grands à chauffer, nous sommes moins nombreux au mètre carré et une maison consomme plus d’énergie qu’un appartement (44 % de moins par ménage).

« Les transformations prennent du temps, rappelle le scientifique. Concevoir des villes, ça prend une vision à long terme. Ça ne se fera pas sur 7 ans, ni même 30 ans. On ne rasera pas les banlieues et les régions pour refaire l’aménagement du territoire ! »

Monsieur Mousseau souligne avec raison que c’est toujours le passage à l’échelle qui s’avère problématique. Huit millions de personnes qui font la même chose, c’est la cata énergétique. Voilà pourquoi on parle de densification.

Voilà pourquoi il faut que le politique s’en mêle. « Il n’y a pas de volonté politique, me souligne Normand Mousseau. Hydro-Québec, aujourd’hui, c’est 40 % de notre consommation. » Car oui, depuis 2016 — exception faite de la pandémie —, nous consommons davantage de pétrole que d’électricité. Mousseau déplore le manque de plan stratégique pour s’enligner sur 2050 et la décarbonation. Il a coprésidé en 2013-2014 la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec et puis… : « Rien n’a été fait. On prend des décisions à la marge qui se contredisent sans objectif précis. L’Europe a une vision, dans une direction raisonnable. On aligne l’énergie avec d’autres enjeux. »

Le monde sans fin

Le livre le plus vendu toutes catégories confondues en France en 2022 ? À plus de 750 000 exemplaires, une bédé volumineuse signée par l’ingénieur Jean-Marc Jancovici et le dessinateur Christophe Blain : Le monde sans fin, qui coûte presque 50 $. Avis aux éditeurs, tout est possible !

Je l’ai fait venir, car j’apprécie l’ingénieur spécialisé dans les bilans carbone qu’est Jancovici. Ce bouquin costaud porte sur l’énergie et notre adaptation comme espèce aux défis écologiques. C’est un livre passionnant de vulgarisation scientifique, d’histoire, sur notre économie et notre consommation et sur l’énergie qui porte nos besoins et envies (caprices inclus), sur l’écologie et l’agriculture. Les changements nécessaires seront majeurs.

La multiplication des humains propulsée par la révolution industrielle — dix fois plus en 200 ans — a augmenté d’autant les besoins énergétiques. Mais, comme le souligne Jancovici : « Toute énergie devient sale à grande échelle. Choisir une énergie, c’est arbitrer les inconvénients. »

La vitesse à laquelle il faut réformer le système n’est pas compatible avec le maintien d’une liberté individuelle accompagnée du niveau de vie auquel on est habitués aujourd’hui.

 

Il faut dire que l’ingénieur est pronucléaire et ne se gêne pas pour en minimiser les dégâts, ce qui lui a été reproché maintes fois. N’empêche, s’il y a une chose à retenir, c’est que toute énergie alternative est destinée à maintenir notre mode de vie actuel (les véhicules électriques inclus) et que nous sommes dopés à la vitesse et à l’instantanéité en tout. Nous sommes aussi passés de l’ignorance au déni en matière de consommation d’énergies. Nous n’échapperons pas à la décroissance ni à la sobriété, selon Jancovici.

On y effleure aussi le sujet tabou de la surpopulation, « un bâton merdeux », et celui des libertés individuelles, la foire d’empoigne.

L’auteur rappelle que les GES doivent être divisés par 3 d’ici 2050, de -4 %/an. Pour ce faire, il faudrait une pandémie de COVID chaque année afin de clouer l’économie et la consommation d’énergie, les avions et le reste au sol.

Mais il va sans dire qu’une guerre nucléaire réglerait tout beaucoup plus rapidement.

cherejoblo@ledevoir.com

Trouvé le balado de J’aime Hydro. « Du confort de l’ignorance à l’angoisse du savoir, l’actrice Christine Beaulieu est devenue bien malgré elle un électron libre », prévient feu Serge Bouchard en amorce. Le balado, très réussi, narré par la comédienne dure trois heures quarante-cinq. Les cinq segments bien ramassés datent de 2019. « Chu pas Alain Gravel moi là crisse. J’ai l’impression de faire une grosse grosse erreur dans ma vie », pleure en 2015 celle qui allait faire un succès de ce sujet. La partie avec le vieil Indien krishna qui lui prédit ce triomphe est très drôle.

bit.ly/3Kw1IHl

Parcouru le rapport L’état de l’énergie au Québec 2023. « Parler d’énergie n’est jamais chose simple, même pour les spécialistes », préviennent les auteurs Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau, de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. Mais en résumé, nous n’allons pas dans la bonne direction : « Les ventes d’essence et de carburant diesel ne déclinent pas au rythme nécessaire pour atteindre les cibles, le parc de véhicules carburant à l’essence grandit et grossit, la superficie de plancher à chauffer est toujours en croissance et l’amélioration de la performance énergétique des industries est insuffisante. »

Les auteurs ratissent toutes les formes d’énergie (y compris le fameux hydrogène vert), les graphiques aident à digérer cette matière dense, mais tout de même accessible si le sujet vous intéresse. bit.ly/3Ig8IW4

Pierre-Olivier Pineau vient tout juste de publier L’équilibre énergétique. Comprendre notre consommation d’énergie et agir pour durer. Hâte de le lire. bit.ly/3y3NDtr

Revu Planet of the Humans réalisé par Jeff Gibbs avec Michael Moore à la narration et à la production, film documentaire sur notre soif d’énergies alternatives et « nos mesures désespérées qui ne visent pas à sauver la planète, mais plutôt à sauver notre mode de vie, des mesures qui se heurtent à la première réalité : les limites planétaires ». Le contexte a changé depuis 2020 et avec la guerre en Ukraine, certains espèrent un virage accéléré vers les énergies renouvelables.

Moore et l’équipe du film ont été critiqués à sa sortie et accusés d’être de mauvaise foi. Les scientifiques interviewés sont pourtant assez clairs sur nos biais de dissonance cognitive comme espèce qui s’enlise dans l’aveuglement volontaire. Si vous voulez comprendre comment fonctionne le secteur éolien, le solaire, la biomasse etc., c’est instructif aussi. L’équivalent de Cowspiracy, mais pour la filière énergie verte. Pour ne pas carburer idiot. Gratuit sur YouTube : bit.ly/3Sk2Wax



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