La leçon de Carlos Leitão
Il y a deux sortes de promesses électorales : celles qu’on fait sans se soucier de les tenir ou non, parce qu’on n’aura pas à payer le prix d’un reniement, et celles qu’on se sent obligé de respecter.
François Legault n’a pas eu la moindre hésitation à abandonner la réforme du mode de scrutin, estimant que la population ne lui en tiendrait pas rigueur, mais il ne lui viendrait pas à l’esprit de renoncer à la baisse d’impôt promise, même si ce serait clairement la chose à faire.
Dans une lettre ouverte publiée la semaine dernière, 53 économistes et analystes financiers jugent « inappropriée, inéquitable et contre-productive » la réduction de 1 % du taux d’imposition des deux premiers paliers de la table d’impôt, à laquelle la Coalition avenir Québec (CAQ) s’est engagée lors de la campagne électorale de l’automne dernier.
Si la hausse du coût de la vie peut sembler la justifier, il leur apparaît contre-indiqué de diminuer les revenus de l’État de 2 milliards par année, alors que cet argent devrait être investi dans les services publics, notamment la santé et l’éducation.
Autant il est facile de baisser les impôts, autant il est difficile de les augmenter. En politique comme ailleurs, la frivolité est aussi plus courante que la responsabilité. Il faudrait d’ailleurs nuancer cette image du contribuable-le-plus-taxé-en-Amérique-du-Nord. Ce que paient les Québécois pour l’électricité, les services de garde ou encore l’enseignement universitaire est notoirement moindre qu’en Ontario.
L’échec retentissant que les provinces ont subi dans les négociations sur le Transfert canadien en matière de santé (TCS) ne peut que renforcer la nécessité de ne pas affaiblir la capacité d’intervention de l’État québécois.
M. Legault ne s’attendait certainement pas à obtenir les 6 milliards que réclamait le Québec. La moitié de cette somme l’aurait sans doute satisfait, mais le petit milliard auquel il aura droit laisse un manque à gagner qui correspond précisément à la baisse d’impôt promise.
Le premier ministre reconnaît que l’incapacité d’amener le gouvernement Trudeau à se montrer plus généreux dans la contribution fédérale au financement des services de santé causera des maux de tête à son ministre des Finances, Eric Girard, qui planche actuellement sur le budget qu’il présentera au printemps.
Il est clair que M. Girard n’a pas l’option de renoncer à la baisse d’impôt promise. La CAQ n’avait pas encore présenté son candidat à l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne que M. Legault apparaissait déjà sur les pancartes avec le slogan « Baisse d’impôts dès 2023 ».
Même si les chances d’une victoire caquiste sont pratiquement nulles dans la circonscription laissée vacante par le départ de Dominique Anglade, le premier ministre ne peut plus se dédire. Peu importe la situation économique au cours de la prochaine année, M. Girard devra donc se débrouiller sans ces 2 milliards.
À Québec, on a cependant pris bonne note du mea culpa qu’a fait l’ancien ministre libéral des Finances Carlos Leitão dans une récente entrevue à Radio-Canada. Avec le recul, il regrette la rigueur des compressions budgétaires qui ont été imposées par le gouvernement Couillard, notamment en éducation. « Si c’était à refaire, en éducation, je pense qu’on serait allés plus lentement », a-t-il confié.
Dans son budget pour l’année 2015-2016, l’enveloppe budgétaire qui y était consacrée avait augmenté de seulement 0,2 %, ce qui avait imposé un frein à l’embauche dont on ressent encore les effets.
M. Legault a bien retenu la leçon. Que ce soit en éducation ou en santé, peu importent les obstacles, il s’est bien promis de ne jamais revenir à l’austérité qui a été fatale au Parti libéral et dont lui-même a été le premier à profiter.
Il serait exagéré de l’associer à la « gauche efficace », comme lui-même l’a déjà fait, mais il faut reconnaître qu’il n’est pas ce fossoyeur de l’État providence que plusieurs voyaient en lui quand la CAQ était dans l’opposition.
Quoi qu’en dise M. Leitão, il est difficile de ne pas attribuer l’empressement du gouvernement Couillard à rétablir l’équilibre budgétaire à un entêtement idéologique auquel on associait surtout son collègue du Conseil du trésor, Martin Coiteux. Jusqu’à présent, rien ne permet d’adresser ce reproche au gouvernement Legault.
Dans sa mise à jour de décembre dernier, Eric Girard prévoyait toujours un retour à l’équilibre en 2027-2028. Si cela devait imposer de trop gros sacrifices au secteur de la santé, on préférera repousser l’échéance. Personne ne s’en plaindra.