La croisade des «angryphones»

Depuis l’adoption de la Charte de la langue française, en 1977, ses détracteurs ont toujours prétendu qu’il était possible d’assurer la promotion du français sans causer de préjudice aux anglophones.

Selon eux, l’aménagement linguistique au Québec n’est pas un jeu à somme nulle, où un gain de l’un se traduirait nécessairement par une perte pour l’autre. Les « deux solitudes » qui y cohabitent pourraient donc se développer côte à côte sans se nuire.

À lire aussi

Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Malheureusement, cela ne peut pas être le cas. Qu’on le veuille ou non, augmenter la place qu’occupe le français ne peut qu’avoir pour effet de réduire celle de l’anglais, et vice versa. Les immigrants doivent s’intégrer à une communauté ou à l’autre.

Cela n’empêche évidemment pas toute personne qui le désire de recevoir des soins de santé en anglais, comme le prescrit expressément la loi qui a été adoptée à cet effet par l’Assemblée nationale. Seules la mauvaise foi ou une ignorance crasse peuvent amener quiconque à soutenir le contraire.

Le député de Mont-Royal, Anthony Housefather, a cependant raison de dire qu’appliquer les dispositions de la loi 101 aux entreprises sous réglementation fédérale présentes au Québec pourrait empêcher des employés anglophones de travailler dans leur langue.

Ni la Charte canadienne des droits et libertés ni son équivalent québécois ne stipulent cependant que travailler dans la langue de son choix constitue un droit. Inévitablement, à plus ou moins long terme, le bilinguisme mène à l’anglicisation. L’Assemblée nationale, y compris le PLQ, est aujourd’hui unanime à réclamer que la loi 101 s’applique aux entreprises à charte fédérale.

• • • • •

La croisade entreprise par quelques députés anglophones du Québec, appuyés par leur collègue Marc Garneau, contre la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles présentée par le gouvernement Trudeau démontre en réalité que cette loi ne leur était acceptable que dans la mesure où elle ne nuisait pas à l’anglicisation du Québec.

Depuis son adoption, en 1969, cette loi plaçait sur le même pied la communauté anglo-québécoise et les communautés francophones hors Québec, considérées comme des espèces également menacées. La nouvelle version (C-13) prend acte non seulement du fait que cette symétrie ne correspond pas à la réalité, mais aussi de l’attention particulière que le français mérite même au Québec.

Aussi longtemps qu’il s’agissait d’une reconnaissance simplement théorique, les irréductibles Montrealers du caucus libéral auraient peut-être pu l’accepter, mais que cela se traduise concrètement leur est intolérable.

Au-delà des objections d’ordre philosophique sur l’utilisation de la disposition de dérogation que suscite la référence à la Charte de la langue française, les modifications au projet C-13 que veut apporter le Bloc québécois, avec l’appui du Parti conservateur et du NPD, ont précisément le tort de lui donner un minimum de substance.

Tant que la fronde était le fait d’une poignée d’« angryphones » ou d’esprits colonisés, on aurait sans doute pu laisser les choses aller et laisser chacun voter selon sa conscience. L’entrée dans le débat du ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, proche de Justin Trudeau, vient soudainement lui donner une autre dimension.

• • • • •

Il ne s’agit plus du simple « show de boucane » mené par le Montréal anglophone qu’a dénoncé le député franco-ontarien Francis Drouin. Les francophones hors Québec craignent maintenant le déraillement d’une réforme dans laquelle ils voient un réel progrès.

Il était détestable d’entendre M. Miller dire qu’appliquer la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale au Québec pourrait avoir des conséquences négatives pour eux, dans la mesure où les autres provinces pourraient décider de légiférer pour que seul l’anglais ait droit de cité sur leur territoire. Curieusement, les principaux intéressés n’ont jamais exprimé cette crainte.

Cette espèce de chantage n’est pas nouveau. On a toujours averti les Québécois que leurs « frères » dans le reste du pays pourraient payer pour les excès de leur nationalisme. Durant la campagne référendaire de 1995, ils ont été pratiquement pris en otages. Si le Québec quittait la fédération, Dieu sait ce qu’il adviendrait d’eux…

L’ancien ministre Jean-Marc Fournier avait aussi utilisé cet argument. Il parlait d’une « diplomatie de la francophonie » qui imposait une certaine retenue au Québec dans ses revendications de nature linguistique pour qu’elles ne nuisent pas aux efforts des francophones hors Québec. Ainsi, le gouvernement Couillard s’opposait à ce que la loi 101 s’applique aux entreprises à charte fédérale.

Le Canada anglais n’a certainement pas besoin d’un prétexte pour négliger sa minorité francophone. Même si cela était, le Québec ne peut pas se permettre de lier l’avenir du français sur son territoire à celui qui l’attend dans le reste du pays.



À voir en vidéo