Le masque de la madone

Madonna se dit victime d'âgisme devant les réactions suscitées par son nouveau visage, un masque provocant.
Photo: Valerie Macon Agence France-Presse Madonna se dit victime d'âgisme devant les réactions suscitées par son nouveau visage, un masque provocant.

Je ne m’en fais pas une gloire, mais j’ai décidé de vieillir sans intervention divine, si on exclut un peu de cache-cernes et des mèches occasionnelles. Je vieillis badass, puisque désormais cela fait partie de la panoplie d’artifices à portée de main (je veux dire, de carte de crédit).

Je sais, je sais, « mon corps, mon choix ». On nous a fait gober ça aussi, la question du choix. Mais ce n’est pas un choix, c’est une bataille perdue d’avance. Je l’assume. Mieux que ça ! Je vieillis en pleine conscience.

Je ne m’aimais pas davantage à 30 ans, me trouvant mille défauts. Je suis plus tendre envers moi-même avec l’âge et j’ai compris que la beauté venait surtout de l’intérieur (un cliché mais qui tient). Pour me soigner, j’ingurgite une pipette d’huile de CBD « Belle âme » produite par Victor Charlebois — le fils de L’Osstidcho — avant de me coucher. Ce dérivé de cannabis inoffensif me donnera peut-être le look coastal grandmother de Diane Keaton. J’ai aussi renoncé au crop top et aux tatouages. Y’a des limites à se la jouer sexy sexa.

Depuis belle lurette, j’ai vu mes amies plus vieilles se faire ravaler la façade et être blâmées d’avoir triché. J’observe de jeunes collègues dans la trentaine (généralement belles et portées sur le selfie) se faire injecter des potions magiques. J’ai aussi vu celles qui n’ont rien tenté être mises au ban des fanées. La potence moderne consiste à les ignorer. Le vrai choix ? Être pointée du doigt ou invisibilisée.

C’est souvent l’âgisme qui rend la vieillesse difficile, et non le fait d’être âgé

 

Bref, pour une femme, c’est la lose assurée (comme disent les cousins), sauf que l’option camomille ne coûte presque rien. Celles du Botox, bistouri et autres travaux d’aiguille s’intéressent à vous dès l’âge tendre de 18 ans, soit dit en passant. Tout ça pour investir dans l’industrie du périssable.

Ça ne répare rien, sauf l’éphémère.

Lorsque j’étais ado, ma mère me faisait réciter Le songe d’Athalie de Racine, acte 2, scène 5. Du lourd. Je ne l’ai pas oublié :

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.

Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,

Comme au jour de sa mort pompeusement parée.

Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;

Même elle avait encor cet éclat emprunté

Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,

Pour réparer des ans l’irréparable outrage. »

Ces alexandrins célèbres s’appliquent étrangement au nouveau visage de Madonna, victime d’âgisme depuis son apparition aux Grammy, dit-elle. La Queen qui incarnait la liberté, la material girl affranchie, peut bien faire ce qu’elle veut de sa gueule, afficher le rigor mortis de Jézabel ou y aller plus subtilement comme bien des stars avant elle. Mais une partie de ses fans se sont sentis floués. Sa face, son choix ? Quel « choix » ? Certains y ont aussi vu une ultime provocation.

Madonna est victime d’une culture âgiste qui manque cruellement d’originalité. J’ai lu l’entrevue qu’elle a donnée en 2019 au magazine Vogue britannique ; elle y dénonçait déjà l’âgisme : « On me punit parce que je vais avoir 60 ans. »

L’âgisme, c’est ce qui a mené à ses choix récents de réparer des ans l’irréparable outrage. On pourrait discuter longuement de l’outrage.

Comme l’écrit si bien Marilyse Hamelin dans 11 brefs essais sur la beauté(elle-même soumise au bistouri à 35 ans) : « Passé un certain âge, la beauté — ou du moins, la vision occidentale de la chose — serait donc l’apanage des femmes nanties, pour qui il est encore possible de faire semblant. »

La peur de vieillir et d’être jetée aux orties commence très jeune pour certaines. Mais cette angoisse culturelle et cette haine de soi sont alimentées par l’âgisme ambiant et c’est contre lui seul que nous devrions nous rebiffer. Madonna a plié, mais on ne s’attendait pas non plus à ce qu’elle nous tire sa révérence façon Barbara et sa chaise berçante sur scène.

Les belles rides de l’IA

Dans son excellent essai Cassez les codes (2022), la psychologue spécialisée en gérontologie Becca Levy s’intéresse aux cultures âgistes (la nôtre — beaucoup moins vrai au Mexique, au Japon ou en Afrique). Son livre sur la science de l’âge comporte 75 pages de références et de notes, en prime. Elle souligne que l’industrie anti-âge rapportera 421,4 milliards d’ici 2030, le double d’aujourd’hui. On imagine cet argent investi en prévention en santé… mentale aussi.

Quoi qu’il en soit, cette consultante scientifique pour l’OMS — pour la lutte contre l’âgisme — constate que nous gagnerions à encourager l’intergénérationnel. Les jeunes ont tendance à se sentir différents des vieux et à les fuir dans les cultures âgistes, rappelle Becca Levy.

La professeure et chercheuse à l’Université Yale propose de s’attaquer à l’âgisme à tous les niveaux : dans le milieu de la santé et scolaire, dans le monde du travail, dans la publicité, la culture et les médias (représentations positives d’aînés), en science (les aînés sont exclus des essais cliniques, moins de recherche, etc.), partout.

Vous ne saurez jamais que votre âme voyage
Comme au fond de mon coeur un doux coeur adopté ;
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge,
N’empêcheront jamais que vous ayez été.
Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté […]

 

Tant que nous n’aurons pas réglé notre peur morbide de la ride, notre déni de la finitude, notre rapport à la performance et notre biais esthétique réducteur, ces changements ne pourront s’inscrire dans le zeitgeist. C’est une culture profondément immature qui cache ses aînés en s’imaginant faire disparaître son « problème ».

Pour ma part, depuis que j’ai découvert l’artiste et photographe Jonas Peterson et son projet Youth is wasted on the young (un adage qui veut que la jeunesse soit gaspillée avec les jeunes), je m’émerveille même si tout est faux dans ces portraits. Aidé par l’IA, cet artiste nous présente les aînés autrement : « L’idée de “La jeunesse est gaspillée avec les jeunes” est de célébrer ceux qu’on appelle les “vieux”, un commentaire sur l’âgisme, si vous voulez. C’est un hommage muet et positif aux gens qui ont vu plus que nous, ont fait ceci et cela, ici et là. Je voulais que leur confiance en eux et leur fierté soient vues. J’ai utilisé la mode pour montrer leurs personnalités, leur attitude et leur rebelle intérieur rayonnant à travers la façade de l’âge », écrit Peterson.

Et c’est précisément tout ce que l’industrie anti-âge ne fait pas en exploitant notre honte de perdre une lutte inégale contre le temps.

cherejoblo@ledevoir.com

JOBLOG | L’empereur est nu

L’empereur sur Noovo m’a complètement happée, au point où j’ai beaucoup de mal à attendre le mercredi soir pour la regarder en direct (ce que je ne fais plus jamais pour la télé dans le cas des séries). La scénariste Michelle Allen a fait un travail de recherche sur le mouvement #MeToo, les agressions sexuelles et comment un agresseur le devient, comment il se croit protégé par le silence de ses victimes sur une longue période et de quelle façon il tombe du socle où la société entière le place. Ce même cercle refuse d’y croire au départ. J’ai plusieurs noms en tête.

Le comédien Jean-Philippe Perras est excellent dans le rôle de l’agresseur/manipulateur parfait, et toute la distribution aussi. bit.ly/3YPA8J1

L’entrevue avec Michelle Allen sur le contexte social qui change de 2005 à aujourd’hui, ici : bit.ly/3EaE8vO

Adoré les oeuvres de Jonas Peterson, créées avec l’intelligence artificielle. Cet amalgame de styles, de couleurs, de vécu, d’humanité et de rides sur des modèles divers et usés par la vie a séduit bien des gens depuis décembre dernier. On voudrait les voir vivants et personnifiés à la télé.

instagram.com/jonaspeterson_ai

facebook.com/jonaspeterson

Noté que le livre Raconter les heures de Fernand Dansereau, 94 ans, est désormais disponible dans les librairies suivantes : Le fureteur à Saint-Lambert, Médiaspaul à Sherbrooke, Un livre à soi à Montréal. Vous avez été nombreux à m’en faire la demande à la suite de mon article de décembre dernier : bit.ly/3XxXrpC

Relu des passages de l’excellent récit/essai de Daphné B, Maquillée, sur la beauté et les artifices : « On tolère l’artifice s’il est doublement mensonger et qu’il camoufle sa véritable nature. […] On aime les looks qui subliment subtilement une beauté préexistante sans venir modifier drastiquement les traits du visage. »

bit.ly/3Ke9FRg

Revu ce reportage vidéo de la super équipe de RAD (labo de journalisme de Radio-Canada), diffusé il y a deux ans et toujours d’actualité, sur l’effet Instagram et la dysmorphie Snapchat, une obsession de l’image de soi causée par les réseaux sociaux chez les plus jeunes. Les moins de 30 ans sont victimes d’une culture de l’image. On parle surtout des femmes dans cette vidéo, ô surprise !

bit.ly/3YN9fFq



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