La duperie de soi
L’automne dernier, le premier ministre François Legault avait demandé aux Québécois de lui donner une majorité qui lui permettrait de négocier avec Ottawa en position de force. Ils ont répondu à son appel en élisant 90 députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) sur 125.
M. Legault dit aujourd’hui que l’appui qu’il a reçu de la population n’a pas été suffisant pour amener le gouvernement Trudeau à augmenter de façon adéquate sa contribution au financement des soins de santé. Qu’aurait-elle dû faire ? Descendre dans la rue ? Organiser un nouveau convoi vers la capitale canadienne ?
Il est vrai que les tractations du Transfert canadien en santé (TCS), comme l’ensemble des négociations fédérales-provinciales, sont souvent perçues comme des chicanes de politiciens, dans lesquelles les contribuables-électeurs ont du mal à discerner où se situe leur intérêt.
C’est même là un grand succès du fédéralisme. La multiplication des affrontements a fini par banaliser les récriminations des provinces. La péréquation, les programmes d’infrastructures, les points d’impôt, et quoi encore ?
Les Québécois ont tendance à réagir quand ils ont le sentiment qu’ils sont traités injustement par rapport aux autres provinces ou que leur identité est attaquée. Dans le cas du TCS, tout le monde a été maltraité également par Ottawa et M. Legault s’est même réjoui qu’on n’ait pas essayé de lui imposer des conditions qui ne tiendraient pas compte des besoins spécifiques du Québec.
Qu’Ottawa ait réussi encore une fois à imposer sa volonté ne devrait surprendre personne. L’étonnant est que M. Legault ait pu penser qu’il en irait autrement, alors qu’il savait très bien que les dés étaient pipés.
Il s’est converti au fédéralisme parce qu’il en est arrivé à la conclusion qu’il ne réussirait pas à devenir premier ministre en demeurant l’indépendantiste pressé qu’il était jadis, mais comment pouvait-il penser que le fédéralisme changerait parce que lui-même avait changé ?
Peut-il vraiment avoir eu la naïveté de croire que le front commun des provinces, qui s’est toujours écroulé comme un château de cartes, tiendrait jusqu’à la fin cette fois-ci simplement parce qu’il avait fait ami-ami avec Doug Ford, qui s’est empressé de lui faire faux bond ?
M. Legault a été victime de ce que les philosophes appellent la « duperie de soi », une sorte d’aveuglement volontaire qui, contrairement à l’erreur involontaire, consiste à croire quelque chose qu’on sait en réalité contraire à la vérité parce que celle-ci nous déplaît. M. Legault pointe le déséquilibre fiscal en cherchant à se convaincre qu’il n’est pas inhérent à la dynamique centralisatrice du fédéralisme canadien.
Il est vrai que sa reconnaissance de ce déséquilibre a toujours été à géométrie variable, selon son intérêt politique du moment. Il l’avait vertement dénoncé dans son étude sur les finances d’un Québec souverain (2004), mais il avait soudainement disparu quand il a fondé la CAQ et mis la question constitutionnelle en veilleuse, avant de réapparaître quand il a senti le besoin de présenter son « nouveau projet pour les nationalistes du Québec ».
Bien entendu, la solution proposée n’était plus l’indépendance, mais plutôt le transfert de points d’impôt et l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser à sa guise dans les champs de compétence des provinces. Aujourd’hui, il n’ose plus rien proposer.
Même un changement de gouvernement à Ottawa, qu’il a vainement appelé de ses voeux en 2019 et en 2021, apparaît difficilement comme une solution, dans la mesure où le chef conservateur Pierre Poilievre semble très satisfait de la façon dont Justin Trudeau a réglé le dossier du TCS.
Avec un retard de neuf mois, le Parti québécois (PQ) publiera finalement son actualisation de l’étude de M. Legault sur les finances d’un Québec souverain à l’occasion de son prochain congrès, le 11 mars. Alors que le Québec vient de se voir refuser 5 milliards par année pour les 10 prochaines années, le moment est plutôt bien choisi.
Le premier ministre répète que le Québec reçoit 13 milliards par année au titre de la péréquation, alors qu’il recevait seulement 4 milliards en 2004. Au total, il évalue à 10 milliards l’avantage financier qu’il retire de son appartenance à la fédération. « C’est avantageux pour l’instant », a-t-il nuancé mercredi.
Il n’a jamais nié qu’un Québec indépendant serait viable. « Il y a un niveau de richesse, quand on se compare à la moyenne des pays dans le monde, qui est assez élevé, même si on a encore un écart de richesse avec l’Ontario », avait-il déclaré en septembre dernier.
M. Legault déplore que « la valse des milliards » rende le débat sur le financement des soins de santé difficile à comprendre pour le commun des mortels. Il dit avoir hâte de discuter de l’étude du PQ et il ne se gênera sans doute pas pour faire valser les milliards à son tour. Il n’y a rien de plus difficile que de reconnaître qu’on se dupe soi-même.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.