Montréal solidaire

Gabriel Nadeau-Dubois avait l’air d’un homme satisfait à l’issue du conseil national de Québec solidaire, qui s’est réuni en fin de semaine dernière au collège Ahuntsic. Dire que son parti en sortait « renforcé » était un peu exagéré, mais le grand défoulement que les résultats décevants de l’élection du 3 octobre pouvaient laisser craindre ne s’est pas produit.

Il n’y a pas eu le moindre débat sur le « recentrage » du discours solidaire auquel la campagne électorale a donné lieu. On a même fait en sorte de permettre une plus grande flexibilité dans l’adaptation de la plateforme à la conjoncture du moment. Certes, le programme officiel demeure, mais on pourra continuer à s’en distancier progressivement.

C’est moins le tassement des voix de QS que la disparité des genres au sein de l’aile parlementaire qui semblait chagriner le plus les délégués. Quand on dit que le féminisme est une de ses valeurs fondamentales, c’est loin d’être une figure de style.

L’indépendance du Québec en est une autre qu’on dit vouloir « réaffirmer », mais la proposition qui déplorait son absence dans le discours électoral de QS a été rejetée. De toute évidence, on n’en parlera pas davantage durant la campagne en vue de l’élection partielle du 13 mars.

Un délégué a déploré que QS abandonne ce terrain au PQ, mais l’allergie à tout ce qui peut ressembler à du nationalisme identitaire demeure toujours aussi vive. Dans Saint-Henri–Sainte-Anne, le grand thème sera la défense de la diversité, que son candidat, Guillaume Cliche-Rivard, avocat spécialisé en droit de l’immigration, incarne parfaitement.

On n’est pas à la veille d’un rapprochement avec le PQ. Si besoin était, la proposition maladroite de Paul St-Pierre-Plamondon sur la fermeture du chemin Roxham a eu pour effet de raviver la méfiance.

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La grande affaire de la fin de semaine était cependant la « fracture régionale » que l’élection du 3 octobre a aggravée. Les chiffres sont éloquents : sur les 47 circonscriptions où QS a perdu 1 % ou plus de ses voix par rapport à 2018, 34 sont déterminées comme rurales.

L’hommage bien senti que les délégués ont rendu à l’ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, voulait souligner les qualités de coeur et l’engagement de la jeune femme envers ses commettants, mais la perte de cette circonscription a aussi marqué les esprits. « Émilise était notre réflexe région, il ne faudrait pas le perdre », a lancé la députée de Mercier, Ruba Ghazal.

Il est clair que la capacité d’expansion de QS à Montréal a des limites et qu’il ne prendra pas le pouvoir s’il n’arrive pas à s’enraciner en région, tout comme dans les banlieues, qui semblent tout aussi réfractaires au discours solidaire et constituent actuellement un monopole caquiste.

Certes, les « taxes orange » ont été particulièrement mal perçues en région, mais le problème est beaucoup plus profond et une nouvelle tournée des « Grandes oreilles » ne suffira pas à le régler. Non seulement les électeurs boudent QS, mais les militants dans les régions ont aussi un sentiment d’aliénation.

« On se le fait dire : QS est un parti de Montréal », a lancé une déléguée, soulignant l’ironie qu’il y avait à se pencher sur les régions dans une réunion qui avait lieu à… Montréal.

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Les régions prennent souvent l’allure d’un désert pour QS. Un militant de la Côte-Nord, qui était venu au conseil national à titre d’observateur, a ainsi dû demander une permission spéciale pour prendre la parole parce qu’il n’existe pas d’association de QS dans le comté de René-Lévesque.

Dans un atelier, plusieurs ont exprimé leur frustration, dénonçant une « culture interne » qui les déconsidère et la concentration des ressources humaines dans la métropole. Ils semblaient se sentir comme des étrangers dans leur propre parti. « On veut décentraliser le gouvernement, mais on ne le fait pas pour le parti », a lancé l’un d’eux.

Il n’existe au sein de QS aucune instance pour faire écho aux préoccupations des régions, a déploré une autre. « Le national ne nous encourage pas à fonder une association régionale ou locale », a-t-elle ajouté. Cela devient une sorte de cercle vicieux. Les associations urbaines, où le militantisme est le plus développé, sont favorisées, ce qui accentue encore le déséquilibre.

Durant la campagne électorale, les militants ont eu l’impression d’être regardés de haut. « Quand on arrive aux élections, on est un peu ignorés. L’aile parlementaire, l’équipe des communications savent tout ».

Là encore, le problème risque d’aller en s’aggravant. Un parti politique a naturellement tendance à concentrer ses efforts et ses ressources dans les circonscriptions où ses chances de victoire sont les meilleures. Une victoire dans Saint-Henri–Sainte-Anne ne serait pas de nature à changer les choses.

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