Le piège à cons
La victoire du PLQ en 2003 avait marqué la fin d’un chapitre. La génération d’hommes et de femmes politiques qui, pendant un quart de siècle, avait vainement tenté de changer le statut politique du Québec, que ce soit à l’intérieur de la fédération canadienne ou en la quittant, prenait progressivement sa retraite.
Cette année-là, sous l’impulsion du gouvernement Charest, c’est plutôt la dynamique du fédéralisme lui-même qu’on avait prétendu modifier en créant le Conseil de la fédération, qui allait assurer un meilleur équilibre des forces entre Ottawa et les provinces.
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Le rapport publié deux ans plus tôt par le comité présidé par le constitutionnalisé et futur ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes Benoît Pelletier déplorait le caractère « diffus et aléatoire » des relations fédérales-provinciales, et le manque de cohésion qui permettait à Ottawa de « s’approprier le leadership et de définir l’ordre du jour des réunions ainsi que les objectifs fondamentaux devant être poursuivis par le pays ».
À défaut d’une réforme constitutionnelle en bonne et due forme, qui était manifestement impossible, le Conseil de la fédération serait « l’élément clé d’une toute nouvelle dynamique fédérative au Canada, fondée sur la concertation, la cogestion, la codécision ».
Dès 2004, l’entente « historique » sur le financement des soins de santé conclue avec le gouvernement de Paul Martin, qui était financièrement avantageuse pour les provinces et consacrait au surplus le principe de l’« asymétrie » souhaitée par le Québec, a fait espérer qu’il était en effet possible de rendre la fédération plus harmonieuse.
Aussi sûrement qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, il a bien fallu constater que cette embellie n’était que passagère, comme en témoigne la conclusion décevante des trois dernières années d’effort des provinces, sous l’égide du Conseil de la fédération, pour amener le gouvernement de Justin Trudeau à participer de façon plus équitable au financement de services de santé.
Comme cela s’était produit en 2017, Ottawa a imposé son diktat. En matière de transferts aux provinces, utiliser le mot « entente » constitue un abus de langage. La différence est qu’à l’époque, Gaétan Barrette avait déchiré sa chemise, alors que le gouvernement Legault a exprimé sa déception sans faire d’histoire. C’est « mieux que rien », a dit le premier ministre. Comme le « petit pain » pour lequel nous étions censés être nés.
C’est sous sa présidence qu’en 2021 le Conseil de la fédération a publié un rapport qui arrivait à la conclusion que la participation fédérale devait être haussée à 35 % du coût total des dépenses de santé pour que le fardeau assumé par les provinces demeure supportable à terme.
Le rapport projetait que le gouvernement fédéral dégagerait un surplus de 50 milliards en 2039-2040, alors que le déficit combiné des provinces et territoires pourrait atteindre 208 milliards en raison des sommes croissantes qu’il leur faudrait investir dans leurs systèmes de santé.
Près de 25 ans après son entrée en politique, M. Legault doit maintenant connaître la musique. Il sait certainement que tous ces fronts communs, qu’on prétend chaque fois « inébranlables », n’ont rien changé à ce caractère « diffus et aléatoire » des relations fédérales-provinciales que constatait le rapport Pelletier et qui a toujours permis à Ottawa de diviser pour régner.
Les provinces, à commencer par l’Ontario, qui ont toutes un urgent besoin d’argent, vont s’empresser les unes après les autres de signer une entente bilatérale avec le gouvernement Trudeau, en regrettant poliment de ne pas obtenir davantage. Certains diront que ce dernier a bien joué ses cartes, mais il est facile de gagner la partie quand on a tous les as dans son jeu.
Si M. Legault s’imagine que les électeurs québécois voudront faire payer à M. Trudeau le prix de sa pingrerie, il risque encore une fois d’être déçu. À partir du moment où il dit avoir suffisamment d’argent pour financer le plan de « refondation » du réseau de la santé présenté par Christian Dubé tout en abaissant les impôts, ce n’est pas Ottawa qu’on blâmera si les résultats ne sont pas au rendez-vous.
La rencontre des premiers ministres provinciaux qui devait avoir lieu vendredi pour faire le point et décider de la suite des choses a été reportée à la semaine prochaine. À entendre Doug Ford remercier Justin Trudeau de sa générosité presque à genoux, on peut toutefois se demander quelle en sera l’utilité. Le premier ministre ontarien n’est manifestement pas d’humeur à monter aux barricades.
À l’époque où M. Legault y était encore, le PQ promettait de retirer le Québec du Conseil de la fédération. On l’avait qualifié de « bébelle » qui, sous des apparences vertueuses, était en réalité un piège à cons. M. Legault a pu constater sa redoutable efficacité.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.