Trop laid pour être vrai
Depuis 48 heures, le premier ministre Legault est méconnaissable. Lui qui est généralement si prompt à grimper dans les rideaux ressemble plutôt à un boxeur sonné par la modestie de l’augmentation du Transfert canadien en matière de santé (TCS) que Justin Trudeau a proposée à ses homologues provinciaux.
M. Legault ne s’attendait certainement pas à ce qu’Ottawa accepte intégralement les demandes des provinces, qui se seraient traduites par un rattrapage de 6 milliards pour le Québec, mais le petit milliard qu’il recevra ressemble plutôt à une aumône. Ou à une gifle.
Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, se voulait compatissant quand il lui a demandé de se ressaisir et lui a offert son appui pour « aller chercher notre butin ». Il semblait presque au bord des larmes de crocodile, à moins que ce soit de joie, devant la déconfiture du premier ministre.
Le solidaire Gabriel Nadeau-Dubois lui a rappelé qu’au cours de la dernière campagne électorale, il avait demandé aux Québécois de lui donner une majorité forte, qui lui donnerait un rapport de force dans ses négociations avec le gouvernement fédéral. « De toute évidence, ça ne fonctionne pas », a-t-il souligné.
Certes, le Québec n’est pas le seul à se retrouver Gros-Jean comme devant. Toutes les provinces canadiennes devront composer avec la pingrerie fédérale, a soutenu M. Legault, mais cette égalité dans le malheur ne rend pas l’échec moins cuisant.
Faire passer la contribution d’Ottawa de 22 % à 24 % du coût total des soins de santé, alors qu’elles exigeaient 35 %, ne règle en rien le problème structurel de financement du réseau partout au pays. L’augmentation annuelle du TCS de 5 % permettra tout juste de couvrir la hausse des « coûts de système » pendant cinq ans, mais l’indexation prévue pour les années suivantes n’y suffira pas.
Le premier ministre a assuré que son gouvernement investirait toutes les sommes nécessaires au plan de « refondation » qui a été présenté par son ministre de la Santé, Christian Dubé, mais cela suppose qu’il faudra rogner sur les budgets consacrés aux autres missions de l’État.
Cela causera bien des maux de tête au ministre des Finances, a reconnu M. Legault. Une solution serait de renoncer aux baisses d’impôts promises, mais cela est hors de question, a-t-il dit.
Il ne doit surtout pas s’imaginer que la population verra dans l’absence de « conditions » imposées par Ottawa une grande victoire qui permettrait de protéger les pouvoirs du Québec. En matière de santé, le respect des champs de compétence prévus par la Constitution ne fait pas partie de ses priorités.
M. Legault semble croire que les électeurs québécois profiteront des prochaines élections fédérales pour punir le Parti libéral du Canada. C’est ce à quoi il les a invités lors des deux derniers scrutins, et ils n’en ont tenu aucun compte. D’ailleurs, un gouvernement Poilievre ne serait sans doute pas plus généreux.
On a beau avoir vu et revu le vieux film des négociations sur le TCS, qui se termine invariablement par un diktat d’Ottawa dont les provinces doivent se contenter en maugréant, l’écart entre ce qu’elles réclamaient et l’offre « finale » du gouvernement Trudeau est tel que cela semble trop laid pour être vrai.
Il est difficile de croire que M. Legault puisse demeurer aussi placide si c’est réellement la fin de l’histoire. On se dit que tout cela est arrangé avec « le gars des vues », qu’en fin de compte, M. Trudeau, la main sur le coeur, va bonifier son offre et que ce psychodrame va se terminer dans une embrassade générale.
Il n’en demeure pas moins étonnant d’entendre M. Legault se porter à la défense du fédéralisme chaque fois que le Québec subit une nouvelle rebuffade. « On croirait entendre Jean Charest », a lancé Paul St-Pierre Plamondon.
La semaine dernière, dans la foulée de l’affaire Elghawaby, le chef péquiste lui avait demandé ce qui le rendait si « fier d’être Canadien » après « tous ces revers et autant de mépris ». Le premier ministre avait fait valoir les ententes sur le logement social, le financement des services de garde ou encore la formation professionnelle, dans lesquels il voyait le prélude à une autre « bonne nouvelle » au sujet du financement des services de santé.
Même si la « bonne nouvelle » n’est pas venue, il soutient maintenant que le Québec reçoit malgré tout 10 milliards de plus que ce qu’il envoie à Ottawa. Selon lui, « on peut être souverainiste pour des raisons identitaires, mais sûrement pas aujourd’hui pour des raisons financières ».
M. Legault a mis le chef péquiste au défi de publier la version actualisée de l’étude sur les finances publiques d’un Québec indépendant qu’il avait lui-même réalisée en 2004. Le Parti québécois l’avait promise en mai dernier, et l’on attend toujours. Il serait grand temps.