Comment sauver la planète sans s’essouffler

Il y a de la pub partout. La preuve : la Banque Royale est parvenue l’automne dernier à broder son logo à l’avant du maillot des Canadiens de Montréal. Sur votre sans-fil aussi, le dernier espace dénué de toute pub est désormais pris d’assaut par les annonceurs. Réjouissez-vous : c’est pour une bonne cause.

Imaginez un instant qu’il vous est possible, sans aucun effort autre que de brancher votre téléphone pour en recharger la batterie, de sauver des gens de la famine, de protéger des espèces animales de l’extinction ou de faire avancer la justice sociale ailleurs dans le monde. Grâce à la pub.

Eh bien, bonne nouvelle : c’est possible.

C’est en tout cas ce que promet Samsung. Le fabricant coréen s’est associé il y a quelques années avec les dirigeants du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) afin d’aider ce dernier à atteindre ses nombreux objectifs.

17 cibles pour 2030

En 2015, l’ONU s’est fixé 17 objectifs de développement durable à atteindre en 2030. Cela va de la lutte contre la pauvreté à une meilleure protection de la biodiversité, en passant par un accès accru à l’eau potable et un plus grand respect des droits de la personne. On le voit tous les jours dans l’actualité, l’atteinte de ces objectifs ne progresse pas à vitesse égale. Il y a même des endroits dans le monde où quelques jours à peine suffisent pour effacer des décennies de progrès social et humanitaire.

Ça ne signifie pas que rien ne doit être fait, ou que les efforts sont vains. Mais bien des gens sont découragés. S’ils ne versent pas déjà dans un certain cynisme ou carrément dans une apathie qui les empêche d’agir. Des enfants dans des mines de cobalt ? Ça n’empêche pas grand monde d’acheter un téléphone. Ou une Tesla…

Bref, plusieurs se demandent par quel bout commencer. Car on le sait, le train de vie occidental, extrêmement énergivore, fait partie du problème.

Comble de l’ironie, ce sont deux organisations multinationales gigantesques, l’ONU et Samsung, qui vous demandent d’agir. Sans doute que pour le conglomérat coréen, qu’on connaît au Canada pour ses électroménagers et ses produits informatiques, mais qui est aussi un géant de la construction navale et de l’industrie lourde asiatique, tout cela est une façon simple et rapide de remplir des engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pris pour satisfaire un quelconque actionnaire militant.

Or, et c’est la beauté de l’affaire, les gens qui ont convaincu Samsung de s’engager dans le programme de l’ONU ont non seulement prévu le coup des fameux critères ESG, mais aussi compris qu’une partie du public n’était pas prête à s’engager activement dans la lutte contre les inégalités, les injustices et la pollution.

Ils ont mis au point le meilleur moyen d’agir sans effort. D’aider sans s’essouffler. De contribuer sans sortir son portefeuille. Ils ont créé une application qui fait tourner en boucle des publicités sur l’écran verrouillé de téléphones intelligents quand ils sont branchés à une source d’alimentation.

Comme toutes les autres, cette application tire des revenus de cet affichage publicitaire. Les sommes générées s’en vont directement dans les programmes de développement durable de l’ONU.

Aucun effort particulier de votre part n’est requis, sinon d’installer l’application sur votre mobile.

300 millions, et ça continue

Samsung a lancé l’application Global Goals en 2019. Le mois dernier, ses dirigeants ont dressé un premier bilan de l’opération. Les chiffres sont impressionnants. Samsung, après tout, est le plus grand fabricant de téléphones sur la planète, aux côtés d’Apple. La marque coréenne a écoulé au cours des 12 derniers mois presque 300 millions de téléphones.

C’est énorme. C’est aussi un problème, bien que d’un tout autre ordre : tout cela se transforme quatre ou cinq ans plus tard en déchets électroniques. Il existe à ce chapitre d’autres objectifs que s’est fixés l’industrie du sans-fil. C’est un autre sujet, sur lequel il faudra revenir plus tard.

Entre-temps, cela crée quand même un bassin d’appareils énorme pour cette application qui vient en aide à l’ONU. D’autant plus que, sans trop le claironner, Samsung l’installe par défaut à l’usine sur tous les appareils compatibles.

Au fil des quatre dernières années, 50 millions de personnes dans le monde ont découvert l’application et ont activé l’affichage publicitaire sur l’écran verrouillé de leur sans-fil. Résultat : depuis 2019, ce sont 10 millions de dollars américains (13 millions de dollars canadiens) qui ont été remis au PNUD pour l’aider à atteindre ses objectifs.

Des sommes qui vont « là où il est le plus urgent d’envoyer de l’argent » au moment où le chèque est encaissé, assure-t-on du côté de l’organisme affilié aux Nations unies. Sans grand effort de la part des propriétaires de sans-fil participants, doit-on ajouter.

Même les plus pessimistes en conviendront, entre ça et ne rien faire pour aider son prochain, l’effort n’est pas particulièrement plus grand. Et comme de temps en temps, la pub sur l’écran verrouillé est remplacée par une petite infobulle informant l’utilisateur de l’avancement des 17 objectifs établis par le PNUD, l’utilisateur aura quelque chose d’original à dire advenant un éventuel cocktail dînatoire au cours duquel les sujets de conversation viendraient à manquer.

Après tout, on ne peut pas tout le temps seulement parler du Canadien de Montréal…

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