Que veut Pékin?
Dérive « involontaire » d’une sonde météorologique ? Espionnage sérieux ? Test des défenses et des systèmes d’alerte de l’adversaire (de l’ennemi) ? Guerre des nerfs ? Ballon d’essai ?
L’épisode de la sonde chinoise au-dessus des États-Unis survient à un moment délicat des relations sino-américaines, où la crainte d’une escalade accidentelle se fait plus présente.
Un mot sur l’apparent retour en arrière que représente l’utilisation, à l’ère des satellites et des avions hypersoniques, de ballons, dont les premiers usages géostratégiques remontent à plus de deux siècles : guerres européennes de la fin du XVIIIe siècle (bataille de Fleurus, 1794) ; guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865).
Les ballons d’espionnage, qui volent à une hauteur variant entre 20 et 40 km d’altitude, connaîtraient en ce XXIe siècle une nouvelle jeunesse, en Chine et aux États-Unis, justement. Ils sont certes lents, détectables et soumis (relativement) aux vents, mais ils ont plusieurs avantages.
Ils coûtent infiniment moins cher que les satellites (construction et opérations de lancement). Ils peuvent, du fait de leur lenteur et de leur faible altitude, voir des détails qui échapperaient aux satellites (et aux avions ultrarapides). Ils peuvent aussi, au-delà de l’imagerie vidéo-photographique, y aller de coups de sonde et d’enregistrements impossibles à 500 ou à 1000 km d’altitude. Les derniers modèles, enfin, peuvent manoeuvrer à travers les vents, comme les plus habiles pilotes de voilier. Ce qui réfute l’explication de la « dérive accidentelle ».
Comme à la fin des années 1940 entre les États-Unis et l’URSS, on est à l’aube d’une nouvelle guerre froide. Cette fois, entre la puissance déclinante, mais persistante des États-Unis, et la puissance ascendante, mais incertaine qu’est la Chine… peut-être plus maladroite et moins assurée qu’on le pense.
Pékin a dénoncé la « réaction exagérée » de l’armée américaine, après la décision d’abattre l’intrus. Pourtant, c’est plutôt à un exercice mutuel de retenue diplomatique qu’on assiste depuis trois jours.
L’aérostat aura eu le temps de « dériver » à 19 km d’altitude au-dessus de tout un continent avant que l’ordre ne soit finalement donné de l’abattre. Pourtant, ce survol à basse altitude d’un engin probablement truffé de capteurs et de caméras représentait un viol caractérisé de souveraineté.
Mais en même temps, malgré les protestations de Washington et le report du voyage à Pékin du chef de la diplomatie américaine, on sent dans tout cet épisode une volonté d’éviter l’escalade.
Côté chinois, il y a le simple fait qu’on ait exprimé des regrets (presque des excuses)… en invoquant certes une explication fantaisiste. « Nous regrettons ce qui s’est passé et continuerons à communiquer avec la partie américaine pour gérer cette situation. » On pourrait imaginer réponse plus agressive ; ils en sont capables et le font souvent. Les « loups combattants » de la diplomatie chinoise (pendant la première phase de la pandémie), ainsi que le quotidien chinois Global Times, nous y ont lourdement habitués.
Côté américain, on n’a pas immédiatement abattu l’intrus (il y avait certes une raison non politique : éviter la chute dangereuse de débris), alors qu’il était dans une probable mission de renseignement. On sait que le ballon a survolé une base de stockage de missiles dans le Montana. On soupçonne aussi un « espionnage électromagnétique » pour tester les fréquences de l’adversaire.
Il peut aussi y avoir eu — l’hypothèse n’exclut pas ce qui précède — volonté de tester la vigilance et les défenses américaines, pour mesurer combien de temps l’opération pouvait durer avant de se faire intercepter.
Malgré l’immense « distraction » russe en Ukraine, la relation sino-américaine reste au coeur du XXIe siècle. Malgré tous les sujets de contentieux (commerce, Taïwan, Ukraine…), on sent un souci d’éviter l’affrontement direct et de coopérer sur certains points.
Au sommet de Charm el-Cheikh (COP 27), on a vu cet automne les représentants chinois et américains reprendre contact, après trois mois de bouderie de Pékin, pour cause de Nancy Pelosi à Taïwan.
En marge du G20 de Bali, Biden et Xi se sont rencontrés. Les deux pays ont convenu de mettre en place des procédures et des mécanismes pour éviter de se retrouver, après une affaire comme celle-ci, devant un « Cuba 1962 » sino-américain.
Malgré les divergences fondamentales et objectives qui opposent ces deux pays au XXIe siècle, la Chine et les États-Unis veulent croire qu’il est possible d’avoir à la fois des désaccords, voire des affrontements, sur des sujets très importants, tout en coopérant sur d’autres et en évitant la montée aux extrêmes.
Le monde craint aujourd’hui Vladimir Poutine et son bouton nucléaire, mais les vraies tendances lourdes du siècle ne sont pas là.
François Brousseau est analyste d’affaires internationales à Ici Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com