Après huit ans de Justin Trudeau

Depuis quelques jours, le chef conservateur Pierre Poilievre commence presque toutes ses déclarations publiques par les mots suivants : « Après huit ans de Justin Trudeau… » Même s’il exagère quelque peu sur l’âge du gouvernement du premier ministre actuel — élu pour la première fois il y a un peu plus de sept ans, à l’automne 2015 —, sa stratégie a l’avantage de rappeler aux Canadiens que le gouvernement fédéral actuel s’approche de la date de péremption moyenne des gouvernements dans notre système électoral.

M. Trudeau n’est plus le porte-étendard des voies ensoleillées qu’il était en 2015, mais un leader aguerri dont la personnalité et les politiques divisent les Canadiens au plus haut degré. Après bientôt hutit ans, un désir de changer de gouvernement s’installe inévitablement chez les électeurs.

En vertu de leur entente de soutien et de confiance avec le Nouveau Parti démocratique (NPD), intervenue l’an dernier, les libéraux devraient pouvoir compter sur cet appui pour rester en selle jusqu’en 2025. Mais, en 2025, M. Trudeau aura été premier ministre depuis presque 10 ans. En d’autres mots, il se retrouvera dans la même situation que Stephen Harper en 2015. C’est la raison pour laquelle certains libéraux fédéraux plaideraient pour un déclenchement des élections cette année. Confiant en sa capacité de l’emporter contre un chef conservateur inexpérimenté et encore plus clivant que lui, M. Trudeau lui-même a montré des signes laissant croire qu’il se verrait bien en découdre avec M. Poilievre en campagne électorale.

Or, avec la semaine que vient de passer M. Trudeau, cette idée susciterait moins l’adhésion chez les libéraux. Un sondage Abacus publié mercredi accordait une avance de huit points de pourcentage aux conservateurs, soit l’écart le plus grand en leur faveur depuis l’arrivée au pouvoir de M. Trudeau. Avec l’appui de 37 % de l’électorat à l’échelle nationale, contre 29 % pour les libéraux et 18 % pour le NPD, les conservateurs sont au coude-à-coude avec les libéraux en Ontario. Ils sont cependant loin derrière les troupes de Justin Trudeau dans les provinces atlantiques, et au Québec, où le Bloc québécois talonne les libéraux.

Les autres données du sondage ont de quoi inquiéter les libéraux. Les trois quarts des Canadiens estiment que le gouvernement Trudeau ne s’attaque pas assez aux grandes préoccupations de l’heure que sont le coût de la vie et la crise du logement, de loin les plus grandes priorités des électeurs. La moitié des gens pensent que les libéraux ne se concentrent pas assez sur les enjeux économiques.

Pire encore, le sondage Abacus a été effectué avant que n’éclate la controverse entourant la nomination par M. Trudeau d’Amira Elghawaby comme représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie. La quasi-totalité de la classe politique québécoise a dénoncé cette nomination en raison des écrits passés de Mme Elghawaby. Elle a entre autres associé l’appui à la loi 21 au « sentiment antimusulman » chez les Québécois.

Mais ce n’est pas qu’au Québec que l’affaire a froissé les esprits. Sans s’en prendre directement à Mme Elghawaby, beaucoup de Canadiens anglais trouvent que sa nomination constitue une preuve patente que le gouvernement Trudeau consacre trop d’efforts à courtiser les militants de la politique identitaire et les électeurs issus de la diversité plutôt que d’essayer d’unir les Canadiens autour de valeurs communes au nom du vivre-ensemble.

La volte-face de M. Trudeau — qui avait dit en début de semaine appuyer « à 100 % » Mme Elghawaby, pour ensuite tendre un rameau d’olivier aux Québécois qui ont été « soumis à une religion qui ne respectait pas » leurs droits individuels — témoigne du malaise au sein du caucus libéral qu’a provoqué la nomination de cette militante antiraciste. Amira Elghawaby a fini par s’excuser auprès des Québécois, mais le mal était fait. Sa crédibilité, et celle de M. Trudeau, en sort amochée. L’incident laissera des traces négatives pour les libéraux.

Le passage de l’ancien grand patron de la firme McKinsey devant un comité parlementaire à Ottawa jeudi a été quelque peu éclipsé par l’affaire Elghawaby.Mais le témoignage, somme toute évasif, de Dominic Barton n’aura pas aidé le gouvernement à mettre derrière lui la controverse liée à l’octroi de plus de 100 millions de dollars en contrats à McKinsey depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux. M. Barton, qui a présidé le Conseil consultatif en matière de croissance économique, mis sur pied en 2016 par le gouvernement, a nié en comité parlementaire s’être servi de son poste de conseiller auprès du gouvernement pour obtenir des contrats pour sa firme de consultants. Le député conservateur Pierre Paul-Hus l’a accusé d’avoir eu « des trous de mémoire volontaires ».

La semaine s’est terminée sur une autre fausse note pour le gouvernement libéral, avec le retrait des amendements controversés du projet de loi C-21 qui auraient interdit des centaines de modèles d’armes d’assaut, dont plusieurs armes prisées par les Autochtones et les chasseurs. La mauvaise gestion politique de ce dossier hautement délicat n’inspire guère confiance en la capacité des libéraux de faire « avancer le pays dans la bonne direction », comme M. Trudeau prétend si souvent vouloir le faire. Après bientôt huit ans, il semble plutôt faire du surplace.

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