Astérix et Obélix noyés dans la marmite
Ils font depuis si longtemps reluire le blason français. Meilleurs ambassadeurs de leur pays, ces Gaulois créés par Uderzo et Goscinny. Enfantés pour rigoler entre compères à la fin des années 1950 devant une planche à dessin, puis adoptés et célébrés comme héros hexagonaux urbi et orbi. Les tandems de l’Auguste et du clown blanc font rire. On sait gré à ces deux-là, en casque ailé ou en culottes rayées, d’assommer à pleins phylactères les cohortes de César, le rire aux lèvres. Vengeant par ricochet tous les petits et les sans-grade de la terre.
Et comment les Québécois, dans leur mer anglophone nord-américaine, ne se seraient-ils pas identifiés à ce village d’irréductibles Gaulois résistant à l’envahisseur ? Populaires ici autant qu’en leur patrie, Astérix et Obélix, d’un album, d’un film à l’autre, bons crus, mauvais crus, gaillards même après la mort de leurs auteurs.
Ils ont beau jeu d’écorcher quelques réalités historiques. Vive la fiction ! Si drôles, si fous, ces buveurs de cervoise et de potion magique, avec leur esprit de clan, leur druide, leurs chicanes, leurs poissons pourris, leurs menhirs, leur artiste maudit à museler. Dans son bouillon de caricature en perpétuelle mutation anachronique, la franchise offre à l’esprit du temps quelques ingrédients moins sexistes, moins colonialistes qu’à l’origine. L’humour, c’est fait pour ça.
Mais le succès rend ivre, potion ou pas. Désormais, une nouvelle périlleuse mission leur échoit : sauver le cinéma français mal en point dans ses salles comme à l’étranger. Pesant fardeau sur les frêles épaules de Guillaume Canet. Le cinéaste-acteur vient de lancer ici et ailleurs Astérix et Obélix. L’empire du Milieu. Aller voir cette mégaproduction maison équivaudrait, selon son maître d’oeuvre, à voler au secours de la statue de Marianne. De quoi affiner les crocs de la critique française si assassine…
Attendu comme le Messie ou comme le fou du roi, ce cinquième long métrage (hors dessins animés) consacré aux deux héros. Après le populaire opus de Claude Zidi (1999), bien des cinéphiles avaient savouré le formidable Mission Cléopâtre d’Alain Chabat en 2002. On a dénoncé en 2008 le ratage d’Astérix aux Jeux olympiques de Thomas Langmann et Frédéric Forestier, goûté aux finesses d’Astérix et Obélix au service de Sa Majesté de Laurent Tirard (2012), pourtant boudé par le public. L’expérience l’assure : nul ne sait si Toutatis bénira un film de cette lignée ou si le ciel lui tombera sur la tête.
Les aventures du duo dans l’empire du Milieu ont hérité d’un budget astronomique (65 millions d’euros), affronté un report pandémique, rameuté un bouquet garni de stars en apparitions éclair, adapté à l’écran pour la première fois un scénario original non tiré d’un album, bien mal tissé. Les blagues perdent en finesse et les jeux de mots sont à l’avenant. César parlant de salade César…
Ouille ! Ce film entend rejoindre une large audience moins férue de références historiques que le premier public cible. Le régime actuel chinois n’y est pas pastiché. Son immense réseau de salles doit être en cause… Chaque vedette invitée, dont la chanteuse Angèle en Falbala, le footballeur Zlatan Ibrahimovic en bras droit de César (raide et ridicule), a droit à son quart d’heure de gloire. Au suivant ! Ne se transforme pas en acteur qui veut…
L’action se déroule en partie en Chine (tourné en France pour cause de strictes mesures sanitaires là-bas), avec une princesse exotique qui n’aime que les blonds (!!!) et s’esquive avec garde rapprochée en Gaule, histoire de magasiner à gogo les vêtements et les alliés. La voici plus tard muée sans crier gare en libératrice de son peuple. Les arts martiaux, omniprésents bien sûr, se combinent à de mauvais effets spéciaux.
Le film devrait remporter un succès public familial, mais sans gloire. L’oeuvre à grand déploiement, avec costumes et décors soignés, sorte de produit Marvel local, a de bons côtés. Gilles Lellouche succède avec grâce à Depardieu dans les habits d’Obélix. Dommage que le profil du personnage perde au scénario sa candeur en fin de course. Vincent Cassel a tout pour jouer Jules César, hélas ! desservi par des répliques infantiles. À Marion Cotillard échoit le rôle d’une Cléopâtre hystérique. Guillaume Canet campe un Astérix falot, plein de doutes, à moitié végane, amoureux d’une belle Chinoise comme son comparse d’une autre. La sentimentalité des vieux copains (et de César) gâte la sauce. Ça gémit. Ça s’étiole.
La France perd confiance en ses propres mérites. Être colonisé, c’est ça aussi : imiter Hollywood dans sa facture comme dans son essence en visant ses recettes. On souhaite à la mère patrie de développer des formules originales à succès sans égarer son esprit frondeur et son sens de la répartie qui l’honorent. Sans se renier, en somme.