L’huile sur le feu

Il serait absurde de nier que l’islamophobie, tout comme le racisme, existe au Québec, au même titre qu’ailleurs au Canada et un peu partout sur la planète. Le premier ministre Legault convient lui-même que nous ne sommes pas à l’abri de ces maux, même s’il réfute leur caractère systémique.

Cela dit, non seulement le raccourci pris par Amira Elghawaby pour affirmer que « la majorité des Québécois » est animée par un sentiment anti-musulman était insultant, mais il témoignait au surplus d’une malhonnêteté intellectuelle qui ne plaide pas en faveur de la nouvelle représentante spéciale du gouvernement Trudeau dans la lutte contre l’islamophobie.

S’il était vrai, comme l’indiquait un sondage Léger, que 88 % des islamophobes appuyaient la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21), on ne pouvait pas inverser la proposition et affirmer que la majorité des partisans de la loi étaient islamophobes. Mme Elghawaby a parfaitement le droit de ne pas aimer la loi 21 et de la combattre, mais cela ne l’autorise pas à faire un procès d’intention aussi gratuit qu’injuste à ceux qui la soutiennent.

Même si on voulait lui donner le bénéfice du doute en invoquant un manque de disposition pour les mathématiques, elle a tenu dans le passé d’autres propos qui laissent peu de doute sur les sentiments qu’elle éprouve envers le Québec.

Le député péquiste des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau, s’est montré passablement indulgent en parlant d’une « incompréhension » de la société québécoise. Cela ressemble davantage à une détestation. Même le ministre fédéral du Patrimoine, Pablo Rodriguez, s’est dit « blessé et choqué comme Québécois ». C’est dire.

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On ne peut pas s’opposer à la vertu. Toute mesure visant à lutter contre l’islamophobie et à faciliter l’intégration des musulmans à la société canadienne est assurément la bienvenue.

La question est de savoir pourquoi Justin Trudeau a choisi une militante « pure et dure » comme Mme Elghawaby pour occuper un emploi qui va exiger beaucoup de doigté pour favoriser les rapprochements, au Québec comme dans le reste du pays. Lancer des anathèmes n’est assurément pas la meilleure façon d’y parvenir.

Les « clarifications » qu’elle a apportées n’ont pas satisfait le gouvernement Legault, qui exige son départ, mais M. Trudeau est tout disposé à s’en contenter. D’ailleurs, il l’aurait nommée de toute façon, a-t-il reconnu. S’il a pu être agacé par la maladresse de sa recrue, le fond de ses déclarations ne l’a manifestement pas troublé.


En vidéo | Québec réclame la démission d’Amira Elghawaby

Le premier ministre et Mme Elghawaby partagent la même aversion pour la loi 21. Dans l’exercice de ses nouvelles fonctions, elle persistera sans doute à dire tout le mal qu’elle en pense, avec la bénédiction de son patron. M. Trudeau aurait voulu jeter de l’huile sur le feu qu’il n’aurait pas pu faire un meilleur choix.

Toute attaque contre la loi 21 provoque maintenant une réaction épidermique chez M. Legault, comme on l’a vu encore dernièrement quand son homologue canadien a réitéré son intention de la contester et de limiter l’utilisation préventive de la disposition de dérogation.

Dimanche, il brillait par son absence lors de la commémoration du massacre de la grande mosquée de Québec. Il n’avait sans doute pas très envie d’entendre les porte-parole du Centre culturel islamique lui reprocher une loi qui « vient chambarder tout ce qu’on fait comme travail pour le vivre-ensemble ».

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L’indignation provoquée par la nomination de Mme Elghawaby rappelle celle qui avait accueilli, en janvier 2021, la nomination de la géographe Bochra Manaï au poste de commissaire à la lutte et à la discrimination systémiques à la Ville de Montréal, Mme Manaï ayant été précédemment porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens.

M. Legault avait aussi qualifié cette nomination d’« erreur » en raison de la « croisade personnelle » de Mme Manaï contre la loi 21 qui, selon elle, avait fait du Québec « une référence pour les suprémacistes extrémistes ».

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, avait déploré que la mairesse Plante utilise des fonds publics pour « imposer son idéologie » et prédit que la nouvelle commissaire allait semer la division. Manifestement, ses propos étaient insultants. Depuis deux ans, on n’a cependant entendu personne se plaindre de son travail.

Il est sans doute de bon ton de réclamer le départ de Mme Elghawaby, mais il est clair que M. Trudeau ne reviendra pas sur sa décision. Dès lors, la meilleure attitude à adopter est peut-être celle du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui a réclamé une rencontre avec la représentante spéciale.

Sans se faire trop d’illusion sur son acte de contrition, le chef du Bloc se dit prêt à entendre de plus amples explications. Qui sait, lui-même pourra peut-être lui expliquer certaines choses qu’elle ignore sur le Québec. Il sera toujours temps de déchirer sa chemise si elle ne veut toujours pas comprendre.

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