«I want to puke»

Elle m’a eu au mot « vomir ». En anglais, puke. Je parle d’Amira Elghawaby, la nouvelle conseillère spéciale de Justin Trudeau en matière d’islamophobie et d’antiracisme. C’était il y a huit mois. Le Globe and Mail avait mis sur son fil Twitter le texte d’opinion d’un professeur de philosophie de l’Université de Toronto, Joseph Heath, affirmant que les concepts utilisés par les militants antiracistes canadiens, importés des États-Unis, ne pouvaient s’appliquer correctement à l’histoire canadienne du racisme.

Mme Elghawaby a commenté le tweet, choisissant et retranscrivant spécifiquement le passage qui suit : « Enfin, il convient de noter que le plus grand groupe de personnes dans ce pays qui ont été victimes du colonialisme britannique, subjugué et incorporé à la confédération par la force, sont les Canadiens français. » Au-dessus de cette citation, la militante a écrit : « I’m going to puke » (« Je vais vomir »).

Croyez-moi, j’ai tenté de trouver une autre explication. Mais la seule qui s’impose est la suivante. Mme Elghawaby était à ce point outrée que quelqu’un rappelle qu’en nombre, sinon en intensité, les francophones ont été les plus grandes victimes du colonialisme que sa réaction ne fut ni de contre-argumenter, ni d’affirmer son désaccord, ni d’ignorer simplement ce point de vue. Non. Elle a souhaité que tous ses abonnés sachent que la seule évocation de l’importance de l’oppression vécue par les Canadiens français lui causait une violente réaction, physique — au sens propre, « viscérale » — de rejet.

Justin Trudeau, qui était fier de présenter sa nouvelle recrue dimanche à la commémoration de l’horrible tuerie de la mosquée de Québec il y a six ans, a déclaré qu’elle était la personne choisie pour « bâtir des ponts avec les Québécois et les autres Canadiens ». Si c’est vrai, on aimerait avoir la liste de ceux qui n’ont pas été retenus. Don Cherry ? Amir Attaran ?

Pablo Rodriguez qui est, comme l’a dit récemment M. Trudeau au sujet d’un autre de ses ministres, un « bon Québécois », s’est déclaré « profondément insulté et profondément blessé » par un autre propos formulé par écrit par Mme Elghawaby. En effet, dans un texte, toujours en ligne, dans l’Ottawa Citizen, cosigné par l’ex-président de la section ontarienne du Congrès juif canadien Bernie Farber et s’opposant à la loi 21, on lit : « Malheureusement, la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par des opinions négatives envers l’islam. Un sondage réalisé par Léger Marketing plus tôt cette année a révélé que 88 % des Québécois qui avaient des opinions négatives sur l’islam appuyaient l’interdiction. » (Je dois avouer que j’ai moi-même des opinions négatives envers le christianisme, l’islam et toutes les autres religions.)

Cela voulait-il dire que Mme Elghawaby estimait que les Québécois sont islamophobes, selon le mot désormais accepté à Ottawa et qui signifie à la fois sentiment anti-musulman et toute critique de l’islam, quelle qu’elle soit ? Mais non ! Qu’allez-vous chercher là ? Sur son fil Twitter, la dame nous a rassurés vendredi dernier : « Je ne crois pas que les Québécois sont islamophobes ; mes commentaires passés faisaient référence à un sondage au sujet de la loi 21. » Affirme-t-elle maintenant que ce sondage était fautif ? A-t-elle de nouvelles données ?


En vidéo | Québec réclame la démission d’Amira Elghawaby
 

 

Si elle s’est trompée dans ce texte, elle a récidivé dans un autre, de 2020, du Toronto Star. Après avoir cité un membre de la communauté musulmane de Québec, Rachid Rafah, affirmant qu’« au Québec, les gens ne peuvent pas admettre qu’il y a des problèmes dans cette société. Je ne sais pas pourquoi ». Elle ajoute : « Il n’y a pas que la plupart des Québécois qui sont dans le déni », trop de Canadiens le sont aussi.

Si on prend le temps de lire ses écrits un peu plus vieux, on ne peut que déceler une constante dans son appréciation des Québécois, superbement étalée dans ce texte de 2013 du Star sur la charte des valeurs. Elle cite d’abord le livre A Fair Country, de John Ralston Saul : « Dans tout le monde occidental dans la seconde moitié du XIXe siècle, les civilisations de la classe moyenne, enchaînées et obsédées par l’empire ont progressivement glissé vers les peurs paranoïaques du XXe siècle. Peur de quoi ? Peur de la perte de pureté — sang pur, pure race, purs traits nationaux et valeurs et liens. »

Son commentaire : « Il aurait pu écrire cela au sujet du Québec d’aujourd’hui. Les sondages favorables à la charte indiquent que [Pauline] Marois a puisé dans une paranoïa viscérale de l’autre qui hante parfois les communautés avec un effet tragique. » Elle se désole ensuite que certains se résignent à ce que « la province ne changera jamais, restant un bastion forcé et statique de la culture et de l’identité françaises ; un rêve partagé qui nie le rôle et la présence des Premières Nations au départ, et celles des minorités qui sont venues plus tard ? ».

Plus près de nous, son texte de l’Ottawa Citizen recèle une autre pépite. Elle y donne un avis bien senti, spécifiquement sur François Legault : « Le premier ministre de la province continue de nier l’existence de l’islamophobie, y compris les expériences des Québécoises qui disent avoir ressenti un racisme croissant au cours des derniers mois. Les politiciens qui flattent les tendances xénophobes doivent être appelés sur le tapis. » Bang !

Avis à ceux qui assisteront à leur première rencontre : apportez vos sacs à vomir.

jflisee@ledevoir.com ; blogue : jflisee.org

D’autres écrits de Mme Elghawaby

Comme certains l’ont noté, dans le Toronto Star, où elle a beaucoup écrit, Mme Elghawaby a mis en cause la célébration de la Fête du Canada comme trop liée à l’oppression des Premières Nations, elle a aussi accusé la monarchie britannique de racisme et proposé qu’on coupe les liens avec elle, des opinions qui se défendent, mais qui ne la prédisposent peut-être pas à être une rassembleuse au-delà des cercles militants qui partagent ses vues.

Sa définition de l’islamophobie intéresse plus particulièrement, puisque c’est son mandat central, et qu’il existe, là, un potentiel conflit avec la liberté d’expression. On sait que la responsable antiraciste de Montréal, Bochra Manaï, a déjà expliqué que toute critique de l’islam est de l’islamophobie, donc du racisme. Mme Elghawaby s’est prononcée sur un sujet connexe : les conséquences de la tuerie de Charlie Hebdo par des islamistes violents estimant que les caricatures de Mahomet étaient des blasphèmes passibles de la peine de mort.

Dans un texte du Star critiquant la stratégie du gouvernement d’Emmanuel Macron contre l’infiltration islamique en France, elle lui reproche de se concentrer sur la « défense de caricatures grossières ». Elle enchaîne : « Macron défendrait-il, au nom de la liberté d’expression, des textes antisémites fascistes, ou des caricatures racistes contre les Noirs et autres minorités, ou des tirades homophobes ? »

Si ces expressions détestables de la liberté d’expression ne s’accompagnaient pas d’appel à la violence, la réponse est oui. Mais la signataire préfère la position de son nouveau patron, Justin Trudeau, qui avait affirmé à cette occasion que « la liberté d’expression n’est pas sans limite », semblant approuver l’appel à la censure de caricatures religieuses offensantes.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



À voir en vidéo