Hydro-Legault

François Legault n’a jamais caché son désir d’en arriver à une entente avec Terre-Neuve-et-Labrador sur le développement des ressources hydroélectriques du fleuve Churchill. L’idée de s’entendre avec la province voisine sur la réalisation conjointe de nouveaux projets lors des négociations entourant le renouvellement du contrat de Churchill Falls lui a toujours semblé relever de l’évidence même. Toutes ses manœuvres liées à la construction de nouveaux barrages au Québec pourraient n’être qu’un écran de fumée déployé pour dissimuler ses véritables ambitions, soit de relancer des projets hydroélectriques au Labrador afin d’alimenter Hydro-Québec, qui aura besoin de nouvelles sources d’énergie dans les années à venir.

Certes, d’autres premiers ministres québécois ont caressé le même rêve. En 1998, Lucien Bouchard et son homologue terre-neuvien de l’époque, Brian Tobin, ont même signé une entente-cadre pour construire ensemble une centrale hydroélectrique à Gull Island, en aval de Churchill Falls. Les négociations subséquentes ont toutefois heurté un mur en raison de l’opposition des Innus du Labrador au projet, mais aussi de la méfiance historique des Terre-Neuviens envers Hydro-Québec, grande gagnante du contrat de 1969, qui permet toujours à la société d’État d’acheter plus de 5000 mégawatts (MW) provenant de Churchill Falls à un prix dérisoire.

Bernard Landry et le premier ministre terre-neuvien Roger Grimes ont ressuscité les pourparlers. Mais les deux hommes ont été battus lors des élections en 2003. L’opposition conservatrice à Terre-Neuve avait alors fait campagne contre toute entente sur Gull Island avec le Québec.

Le successeur de M. Grimes, Danny Williams, a décidé d’entreprendre sans partenaires la construction d’une centrale hydroélectrique à Muskrat Falls, aussi sur le fleuve Churchill, avec les résultats catastrophiques que l’on connaît. Le projet a fini par coûter plus de deux fois plus que prévu, et a nécessité l’intervention d’Ottawa pour éviter la faillite. Le gouvernement fédéral lui a octroyé des garanties de prêt de presque huit milliards de dollars et a accepté de verser ses redevances provenant du projet d’extraction pétrolière en mer Hibernia directement à Terre-Neuve pendant une période de 25 ans afin d’éviter une flambée des prix de l’électricité dans la province.

M. Legault est certes conscient du défi qui l’attend en essayant de réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Mais de tous les projets potentiels qui dorment dans les cartons d’Hydro-Québec, il sait que le développement conjoint de Gull Island demeure le meilleur. « Les spécialistes disent que le plus beau projet qui pourrait être fait, c’est celui de Gull Island », avait-il lui-même reconnu en 2019 lors d’un événement marquant le 75e anniversaire d’Hydro-Québec.

Il n’avait pas changé d’avis lors d’une rencontre tenue l’année suivante à St. John’s avec le premier ministre terre-neuvien de l’époque, Dwight Ball. « Je demeure convaincu que c’est possible de faire de nouveaux projets, que ce soit au Québec ou au Labrador, avec Gull Island, à des coûts qui sont très compétitifs avec toutes les autres formes d’énergie. Et, en plus, c’est de l’énergie propre, avait-il déclaré. Je pense qu’on devrait donner l’exemple. »

M. Legault a révélé cette semaine qu’il rencontrerait bientôt le premier ministre terre-neuvien actuel, Andrew Furey, afin d’amorcer la renégociation du contrat de Churchill Falls. Le contrat actuel arrive à échéance en 2041, mais les deux provinces auront besoin d’arriver à un accord bien avant cette date pour permettre à Hydro-Québec de compter sur l’électricité provenant de cette immense centrale dans ses futurs plans stratégiques.

Churchill Falls compte actuellement pour environ 15 % de l’approvisionnement de la société d’État. Cette énergie est quasi irremplaçable pour Hydro-Québec, et elle le sera encore plus dans le contexte de l’électrification des transports et du développement de la filière des batteries, qui sont au cœur de la stratégie industrielle du gouvernement caquiste. Mais le Québec devra se résigner à proposer un prix sensiblement plus cher que 0,2 cent le kilowattheure pour être pris au sérieux par les négociateurs terre-neuviens.

Un comité d’experts mis sur pied par M. Furey pour le conseiller à ce sujet soulève la possibilité d’une intervention d’Ottawa qui forcerait le Québec à transporter l’énergie de Churchill Falls sur les lignes de transmission d’Hydro-Québec vers les acheteurs en Ontario et aux États-Unis advenant un échec des négociations.

En entrevue cette semaine à Radio-Canada, M. Legault a admis que le développement de Gull Island figurerait au cœur des négociations sur le renouvellement du contrat de Churchill Falls. Il a aussi parlé des « quatre ou cinq projets sur le territoire du Québec » vers lesquels Hydro-Québec pourrait se tourner si les négociations avec Terre-Neuve achoppaient. « Je ne veux pas aller négocier avec Terre-Neuve en disant : “J’ai absolument besoin de votre électricité.” Je veux avoir dans ma poche un plan B, en disant : “Si ça ne marche pas, Churchill Falls et Gull Island, nous, [on va faire notre propre] barrage.” »

Les coûts de construction d’une centrale hydroélectrique de 2200 MW à Gull Island et d’une augmentation de la capacité de la centrale de Churchill Falls d’environ 1300 MW pourraient facilement frôler les 20 milliards de dollars, sinon plus. Mais la plupart des experts considèrent qu’il s’agit d’une meilleure option économique que la construction de barrages sur les rivières du Petit Mécatina et Magpie, au Québec, qui fourniraient ensemble environ 2000 MW. Ces projets feraient face à une opposition farouche de la part des Innus de la Côte-Nord, sans parler des environnementalistes montréalais.

Le développement de Gull Island passerait aussi par une entente avec les peuples autochtones du Labrador. Mais les bénéfices supérieurs qu’il apporterait au Québec expliquent l’enthousiasme de M. Legault pour ce projet qui a plusieurs fois échappé à ses prédécesseurs.

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