Résilience de la démocratie

Les dramatiques événements de Brasília, le 8 janvier, au cours duquel des militants de Jair Bolsonaro ont tenté de répéter le coup du 6 janvier 2021 à Washington, et de faire annuler l’élection perdue par le président sortant du Brésil, sont un nouveau signe des menaces qui pèsent sur la démocratie dans le monde.

Le score phénoménal (bien que perdant) de 49 % obtenu 10 semaines plus tôt par ce personnage est aussi un rappel de la dramatique perte de prestige des valeurs démocratiques et libérales, même si elle s’exprime paradoxalement à travers le vote.

Comme on a pu voter librement, à hauteur de presque 30 %, pour un Parti communiste français pro-Staline au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, on peut aujourd’hui appuyer à presque 50 % un nostalgique déclaré de la dictature et de la torture, de la loi et de l’ordre musclés tels qu’ils ont sévi en Amérique du Sud dans les années 1960 et 1970.

À ce constat inquiet, on peut opposer un contre-diagnostic basé sur des faits encourageants : la rapidité et le caractère foudroyant de la réplique des autorités à cette tentative de putsch, le ralliement autour de Lula (l’ancien-nouveau président), l’isolement du facho déçu et déchu (auto-exilé en Floride quelques jours auparavant) et de son carré d’ultras, lâchés par de nombreuses formations de droite, par la plupart des institutions, y compris par l’armée.

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Ailleurs dans le monde depuis quelques semaines, d’autres signes de la « fatigue démocratique » se manifestent.

Un chaos tragique semble envelopper de plus en plus le Pérou, après l’autogolpe raté de Pedro Castillo, le 7 décembre. Un pays qui, après la décennie dictatoriale d’Alberto Fujimori (années 1990), était arrivé au XXIe siècle à rétablir les libertés, à choisir ses dirigeants dans des élections crédibles et à stimuler le dynamisme économique des régions côtières… mais où les élites politiques sont coupées de la population.

Il y a la terrible régression de la Tunisie, qui a longtemps été un grand espoir démocratique dans le monde arabe, qui coule aujourd’hui à son tour. Le 17 décembre, le régime du président Kaïs Saïed, auteur d’un « putsch constitutionnel » à l’été 2021, a organisé une élection… à laquelle ont participé 11 % des électeurs. Ce qui en dit long sur la crédibilité du processus, alors que la détresse économique semble invalider tout discours sur la démocratie.

En Turquie, la Cour constitutionnelle vient de bloquer, en cette année électorale, les finances de la formation pro-kurde HDP, troisième parti parmi les plus populaires du pays, qui court un sérieux risque d’exclusion.

Sur cette détérioration démocratique, plusieurs institutions et centres d’études spécialisés, avec une batterie de critères, de sondages et d’enquêtes périodiques — Freedom House au Royaume-Uni, instituts V-Dem et IDEA en Suède, Pew Research Center aux États-Unis —, lancent l’alerte depuis une bonne quinzaine d’années. Selon ces études, le « pic » démocratique enregistré en 1989 (chute du mur de Berlin) a commencé à s’évanouir vers 2005.

La Freedom House, par exemple, enregistre au XXIe siècle un déclin continu des libertés démocratiques (élections, pluralisme, libertés individuelles, État de droit) : le bilan de 2021 affichait 25 pays « en progression », contre 60 « en régression ». En 2005, c’était 83-52.

Le Pew Center relève des niveaux croissants de méfiance populaire à l’égard du système démocratique. Une étude de l’Université de Cambridge souligne le détachement particulier des jeunes générations.

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La mondialisation a fragilisé l’État-nation démocratique. Certaines de ses capacités, comme celle d’influer décisivement sur l’économie, de faire de grands projets, de tenir ses promesses, ont terriblement diminué, ce qui a provoqué une déception, un sentiment de futilité, voire la colère des classes populaires. La corruption des élites est un autre poison de l’idéal démocratique : les « affaires » qui ont accompagné le règne du Parti des travailleurs au Brésil, entre 2002 et 2016, ont fait le lit du bolsonarisme.

Le déclin des médias traditionnels, leur fragilité économique et leur manque de moyens, leur remplacement par « l’auto-information » (ou auto-intoxication) par l’entremise des réseaux sociaux, ont accentué les visions simplistes et la polarisation « Blanc-Noir », « Bien-Mal ». Etc., etc.

Ces diagnostics sont connus, voire rebattus. Mais ils sont douloureusement justes. Pour autant, la messe n’est pas dite. Le régime des droits et libertés, le libéralisme politique, les contre-pouvoirs, l’alternance n’ont pas dit leur dernier mot.

Par exemple, au début de la pandémie, beaucoup soulignaient les difficultés des démocraties en les comparant à l’« admirable » gestion chinoise, qui semblait plus efficace. D’où la perception d’une « décadence » démocratique et occidentale, qui renforçait les arguments sur les bienfaits du modèle autoritaire.

Trois ans plus tard, la Chine s’enlise dans sa gestion de la COVID-19, alors que les démocraties l’ont dépassée : réussite pharmaceutique dans la production de vaccins, solidarité occidentale, passage à l’après-pandémie.

Le combat des femmes en Iran contre l’obscurantisme islamiste, ou encore la guerre en Ukraine, peut également redorer le blason de l’idéal démocratique et de ses porteurs.

Presque tous les Ukrainiens vous diront aujourd’hui qu’ils se battent pour l’existence de leur nation, mais aussi pour leur démocratie menacée par une dictature. Ils savent, eux, que, pour les systèmes politiques et leurs mérites respectifs, Russie-Occident ou Chine-Occident… ce n’est pas « bonnet blanc et blanc bonnet ». Oh que non.

François Brousseau est analyste d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

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