Putschistes brésiliens

Washington, 6 janvier 2021 — Brasília, 8 janvier 2023.

Le parallèle est évident et s’impose de façon écrasante. Dans les deux pays géants des Amériques, régis par des élections libres et un système de division des pouvoirs, des partisans déçus d’un démagogue déchu n’ayant pas accepté sa défaite se jettent à l’assaut des symboles physiques de la démocratie : Capitole à Washington, palais présidentiel et Chambre des députés à Brasília.

Les décors sont différents, néo-classicisme lourd à Washington, modernisme minimaliste à Brasília, écho des grandes années 1955-1964. Les costumes aussi, avec quelques clowns mémorables dans l’épisode américain, remplacés hier par des t-shirts plus banals, aux couleurs jaune et verte du Brésil, que l’extrême droite s’est résolument appropriées.

Tout cela est néanmoins sérieux. Une minorité agissante et révoltée, modeste pour la mobilisation directe (quelques milliers de personnes dans les deux cas), mais représentative d’une importante fraction de la société, refuse les codes démocratiques, vomit la classe politique et ne peut concevoir la défaite que comme la tricherie d’un adversaire devenu ennemi.

Cette tricherie fantasmée autorise à son tour le recours à l’assaut physique et à la violence, et même à l’appel au putsch militaire (explicite hier sur d’immenses pancartes à Brasília). Avec, en arrière-plan, l’ombre d’un capo charismatique, supposé tout-puissant.

« Ce sont des fascistes », a dit l’ancien-nouveau président Lula, de retour depuis une semaine (mais absent hier dimanche) dans ce palais du Planalto où il avait déjà passé huit années de sa vie au début du siècle. Un palais qu’il a trouvé « ravagé » (selon les mots de sa femme).

Ravagé au sens figuré, par quatre années d’extrémisme, d’incompétence et de fiel politique… mais aussi au sens littéral, puisque la famille Bolsonaro, en déménageant, aurait emporté quelques beaux morceaux avec elle.

On ajoutera à ce bilan, après la journée d’hier, le vandalisme des manifestants dans les enceintes du parlement et de la présidence. Cependant, en début de soirée, le niveau de violence à Brasília ne semblait pas avoir atteint celui de 2021 à Washington, où sept personnes avaient perdu la vie (aucune à Brasília).

Les deux événements diffèrent sur une foule de détails. Donald Trump se trouvait à proximité, était toujours mobilisé, pendant « l’interrègne », pour tenter de sauver sa présidence perdue. Il avait directement appelé ses partisans à manifester et à prendre d’assaut le Capitole. L’assaut avait eu lieu alors même que les législateurs étaient en train d’officialiser le transfert du pouvoir à Joe Biden.

À Brasília, ces événements surviennent une semaine après la prise effective du pouvoir par Lula — procédure beaucoup plus simple au Brésil qu’aux États-Unis, où le système électoral byzantin et archaïque offre beaucoup plus de possibilités de manipulations et de détournements. Les manifestants ne sont pas « téléguidés » comme ont pu l’être ceux de Washington. Contrairement à Trump, Bolsonaro n’a pas opposé de résistance autre que rhétorique après sa défaite.

On dit l’ex-président brésilien très affecté, voire dépressif. Il est parti bouder à l’étranger… en Floride, où l’on peut imaginer une audience auprès du plus célèbre habitant du lieu : son idole et modèle Donald Trump !

Comploteront-ils ensemble pour miner davantage la démocratie dans leurs immenses pays respectifs ? Au fond, peu importe : ils ont déjà bien semé leurs graines ; leurs mouvements se poursuivent sous d’autres formes, avec ou sans eux. Même dans la défaite, ils ont décroché respectivement 47 % (Trump 2020) et 49 % (Bolsonaro 2022) des suffrages exprimés.

Aux États-Unis, malgré les relatifs déboires républicains aux législatives de 2022 et le spectacle inouï, la semaine dernière, de l’élection chaotique du président de la Chambre, les républicains ont eu le 8 novembre dernier… 50,6 % des suffrages exprimés, contre 47,8 % aux démocrates. Et au Brésil, après les élections d’octobre, les amis de Jair Bolsonarovont dominer la Chambre des députés, le Sénat et beaucoup de régions.

Tout cela donnera à Lula da Silva — comme à Joe Biden — beaucoup de pain sur la planche, avec des embûches énormes.

Devant une opposition de droite très remontée, qui inclut des sympathisants pro-putschistes, il va devoir défendre un système politique attaqué de toutes parts, assimilé aux élites et à la corruption, et ramener la confiance dans les institutions.

Lula est également très attendu sur deux questions cruciales. Il doit agir contre les inégalités qui ont remonté en flèche au cours des dernières années. Dès le Premier de l’an, il a signé un décret garantissant que 21 millions de familles continueront de recevoir un paiement mensuel de 600 réals (150 dollars canadiens), sous le nom d’origine de Bolsa Família, que Bolsonaro avait renommé car c’était une « marque » associée au Parti des travailleurs (PT). Dans son discours d’investiture, il a déclaré qu’« il n’est ni juste ni correct de demander patience à ceux qui ont faim ».

L’autre dossier crucial est celui de la crise climatique. Lula sait que le Brésil a un rôle décisif à jouer sur ce front. Il sait aussi qu’à l’étranger, il sera jugé à l’aune de ce critère. Il a confié la politique environnementale à Marina Silva, 64 ans, celle-là même qui, il y a 20 ans, avait fait chuter la déforestation en Amazonie. Pourra-t-elle, avec Lula, répéter son exploit dans les années 2020 ?

François Brousseau est analyste d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

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