Y’en aura pas de facile
En juin 2019, huit mois après son accession au poste de premier ministre, François Legault voyait la vie en rose. « Honnêtement, je trouve ça plus facile que prévu », confiait-il à La Presse.
On a beau dire que la politique est imprévisible, il ne pouvait pas imaginer que le ciel lui tomberait sur la tête sous la forme d’un virus d’une virulence jamais vue depuis des générations. Après les années Barrette, la nomination de Danielle McCann à la Santé avait été accueillie comme un vent de fraîcheur. Un an plus tard, il la virait en catastrophe.
Certes, il y avait déjà des signes avant-coureurs des problèmes qu’allait lui causer l’élasticité éthique de Pierre Fitzgibbon, et François Bonnardel commençait déjà à avancer des arguments farfelus à la défense du troisième lien, mais tout cela n’était pas de nature à troubler le sommeil de M. Legault.
On ne le reprendra certainement pas à se dire au-dessus de ses affaires. La semaine dernière, il a justifié son boycottage de la traditionnelle conférence de presse de fin de session par sa brièveté, mais il savait très bien qu’à peine trois mois après la victoire du 3 octobre, les médias n’auraient eu que l’embarras du choix des dossiers dans lesquels son gouvernement est déjà embourbé.
Même la mise à jour économique du ministre des Finances et la distribution de chèques visant à atténuer les méfaits de l’inflation ont été éclipsées par la découverte des parties de chasse au faisan en costume d’époque auxquelles son incorrigible superministre de l’Économie participe chaque année en compagnie de millionnaires faisant affaire avec l’État. Comme disait l’autre, « y’en aura pas de facile ».
Le premier ministre persiste à dire que la pénurie de main-d’oeuvre est une bonne nouvelle pour les travailleurs, qui sont en position de négocier de meilleures conditions, mais cela ne semble pas s’appliquer aux employés de l’État, puisque les offres présentées cette semaine par la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, se traduiraient par leur appauvrissement.
La crise des services publics, qu’il s’agisse du réseau de la santé, de celui de l’éducation, des garderies ou encore de l’appareil judiciaire, ne pourra pas être surmontée sans attirer de nouveaux employés, mais il faut d’abord retenir ceux qui sont déjà là.
Encore doit-on leur donner le goût de rester. Christian Dubé a dû avoir des pensées homicidaires en apprenant qu’une infirmière avait été suspendue pour avoir mangé une toast destinée aux bénéficiaires. Une bêtise comme celle-là suffit à ruiner n’importe quelle campagne de séduction.
La foi dans les vertus du secteur public a des limites. À force de faire miroiter des réformes sans que rien change, si ce n’est pour le pire, on a créé un cercle vicieux. Ceux qui ont acquis la conviction que les choses ne s’amélioreront jamais finissent par jeter l’éponge, et leur départ accélère encore la dégradation des services.
Bernard Drainville n’est pas responsable d’une pénurie qui le force à composer avec un nombre record d’enseignants non qualifiés. Il ne devrait cependant pas se surprendre que le quart de ceux qui ont les compétences requises quittent la profession avant d’avoir atteint cinq ans de pratique, alors qu’il défend lui-même un système « à trois vitesses » qui impose un fardeau décourageant à ceux qui oeuvrent dans les écoles du secteur public ordinaire. Au bout du compte, le gouvernement aggrave lui-même la pénurie qu’il déplore.
Comme si cela n’allait pas suffisamment mal à l’intérieur, il doit aussi prévenir les attaques venant de l’extérieur. Préserver la différence québécoise dans un pays où elle agace de plus en plus demeure un combat de tous les instants.
Après les grandes manoeuvres du premier mandat, marqué par l’adoption des lois à caractère identitaire, sur l’immigration, la laïcité et la langue, le deuxième mandat risque d’être celui du corps à corps, aussi bien devant les tribunaux que dans l’arène politique.
L’annulation de la rencontre de vendredi avec Justin Trudeau en raison des conditions météorologiques avait quelque chose de symbolique. M. Legault a affaire à un adversaire qui est passé maître dans l’art de la dérobade.
Les provinces ont beau réclamer depuis deux ans une rencontre au sommet pour discuter du financement des soins de santé, M. Trudeau s’y refuse tant qu’il n’y a pas d’entente sur un « plan » commun, qui reconnaîtrait de facto la légitimité de l’intrusion fédérale dans ce champ de compétence des provinces.
En matière d’immigration, Ottawa fait aussi la sourde oreille. Bien sûr, le Québec n’est pas forcé de suivre le reste du pays dans sa course aux immigrants et d’en accueillir 112 000 par année, comme l’a suggéré Justin Trudeau. M. Legault a beau louer les bienfaits du « Small is beautiful », il sait cependant très bien qu’il y a une énorme différence entre un petit pays et une petite province, qui le sera de plus en plus.