Avaler la bouillie pour les chats

Le monde devient fou. Voici un énoncé susceptible de réconcilier les anti-woke comme les complotistes, les générations du dessus et celles du dessous, les trumpistes et les anarchistes. Chacun jetant le blâme sur l’autre, en face. Car la vertu habite, c’est bien connu, sa propre cour. Ainsi Dieu bénissait, croyait-on, les deux armées des guerres menées en son nom sur les champs de bataille. Même pas besoin de religion pour s’étriper. La mauvaise foi suffit. — C’est lui qui déraille, monsieur, pas moi ! — Comme à l’école.

Mais il y a moyen de dénoncer les nouvelles normes de bienséance à Radio-Canada, qui musèlent les journalistes, sans nier la panne d’évolution de la droite dans d’autres champs. Suffit en somme de combattre l’outrance tous azimuts. C’est elle qui embrouille la vue.

On tire à hue et à dia. Nos sociétés d’abondance entendent le demeurer, tout en s’insurgeant contre les méfaits des gaz à effet de serre et de la déforestation qui tuent les créatures vertes et brunes en forçant l’humain à migrer loin des zones où il rôtit tout rond. On a la tête ailleurs. Déjà que la note d’épicerie grimpe et que le péril covidien s’invite une fois de plus aux festivités de fin d’année. Et vogue le Titanic vers son iceberg.

Les compromis obtenus à l’arraché

Quels seront les compromis obtenus à l’arraché lors de la signature des accords de la conférence des Nations unies sur la biodiversité à Montréal ? C’est à voir. Mais il faudra bien finir par accepter les sacrifices concrets dans nos vies quotidiennes et remettre en cause le capitalisme triomphant. L’humanité a de belles intentions, mais une soif de confort inextinguible. Et les esprits sont tout mêlés. Ça crée des accords dissonants. Quand des infirmières sont suspendues pour avoir mangé une tartine au beurre d’arachide ou un beignet dans un CHSLD, c’est que les gestionnaires sont tombés sur la tête. De toute évidence, ils auront eu peur de se faire injurier par des intégristes de la boîte s’ils gardaient pareilles scélérates dans leur giron. Ça dit l’ambiance… Retour aux Misérables de Victor Hugo, quand Jean Valjean alla croupir au bagne pour avoir
volé un pain.

On rit à s’en décrocher la mâchoire au Québec. Rions donc. Ça défoule sans régler grand-chose. Envahi par la nuée d’humoristes, le milieu culturel se retrouve aussi pris en sandwich entre les deux courants de l’heure : soit le statu quo pétrifié, soit l’adhésion aveugle aux nouvelles normes sociales de tolérance.

L’univers muséal

Prenez l’univers muséal. S’il semblait destiné, par-delà les bouleversements de l’heure, à garder un oeil vigilant sur la sauvegarde de son patrimoine en privilégiant les décisions éclairées, la crise au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa crie tout autre chose. Des virages minute se prennent sous la gouverne d’Angela Cassie, directrice intérimaire depuis le départ, l’été dernier, de Sasha Suda (elle-même fort contestée). But du brasse-camarade : décoloniser l’établissement. Bien sûr, ce musée doit, comme ses semblables, devenir une fenêtre sur le monde et intégrer davantage l’héritage des Premiers Peuples à travers ses collections et ses accès.

Reste que les coups de balai s’y font si vigoureux, et que le congédiement du conservateur principal de l’art autochtone, Greg A. Hill, paraît si incongru à cette enseigne qu’on reste ahuris. Assez pour appuyer les contestataires. Plusieurs là-bas s’insurgent contre des changements rapides et sans appel, craignant entre autres de
fragiliser chez le public la connaissance des précieuses collections. L’inévitable coup de chapeau aux 100 ans de Riopelle a été là-bas entériné du bout des lèvres. Honorer encore un homme blanc faisait tiquer la direction.
Pourtant, il y a moyen d’ouvrir le jeu sans bazarder des trésors du passé.

Dans les armoires à balais ?

Les considérations artistiques se voient refoulées dans l’enceinte même d’un musée. Stupeur ! Faudra-t-il bientôt reléguer nos oeuvres phares dans les armoires à balais ? Qui prend le temps de mesurer les défis énormes d’une institution vouée autant à la mémoire qu’à l’innovation ? L’analyse de fond, la vision d’avenir, le jugement, ces substances volatiles nées du sens de l’histoire et de la culture, perdent la cote. Ça parle au diable…

Alors, j’ai lu un petit essai aux éditions Statégikus qui m’a fait sourire, malgré des pistes parfois saugrenues et des outrances de ton. Sous le doux titre Vers l’abrutissement de l’espèce humaine, son auteur, l’ingénieur québécois Romain Gagnon, cogne sur toutes les dérives. Celle de la culture du bannissement, celle des conspirationnistes, celle des climatosceptiques, celle des fous de Dieu et compagnie. Et voir quelqu’un chercher des graines de bon sens dans la folie ambiante sans se cantonner à un seul camp m’a fait croire un instant au retour des remises en question totales sous la brume du jour.

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