Chine et COVID, le retour de bâton
La liberté, l’État de droit, les élections, la libre critique des autorités ne sont pas que des « valeurs occidentales ».
L’aspiration à la liberté est universelle, comme l’ont scandé la semaine dernière des dizaines, voire des centaines de milliers de citoyens et citoyennes descendus dans les rues des principales villes de Chine pour la revendiquer. En scandant des slogans inouïs, jamais vus ni entendus depuis la révolte de Tian’anmen en 1989.
Il y a trois ans, à l’aube d’une triste période pour l’humanité, les autorités chinoises avaient d’abord réagi par un silence embarrassé, coupable et meurtrier. Puis, fin janvier 2020, elles imposaient un bouclage draconien aux 40 millions d’habitants de la province du Hubei, après la reconnaissance officielle du premier foyer du virus à Wuhan. Un foyer dont l’histoire exacte (transfert spontané du virus à l’espèce humaine ou erreur de laboratoire) reste jusqu’à ce jour un mystère enveloppé de suspicions et de calculs politiques.
Dans la foulée de cette reconnaissance s’ensuivit, en février 2020, une très opportune « diplomatie des masques » fabriqués en Chine et distribués dans le monde entier. Cette offensive propagandiste permit au gouvernement communiste chinois de se payer à peu de frais une image de sérieux, d’efficacité, de générosité… et de supériorité politique.
Ce faisant, il maintenait l’opacité sur ses flottements des premières semaines et sur les origines exactes du virus.
Abandonnant la (plus ou moins sincère) modestie de ses prédécesseurs face au reste du monde, Xi Jinping profita de cette crise pour présenter la Chine comme un modèle politique supérieur, face à des démocraties (Europe et Amérique du Nord) enlisées dans la pandémie.
Dans cette première phase, le « Zéro COVID » appliqué au Hubei apparut comme un triomphe chinois : pratiquement aucun cas après la première vague de Wuhan.
Mais ce triomphe n’allait pas durer éternellement.
Aujourd’hui, le régime de Xi Jinping essuie un triple « retour de bâton » : épidémiologique, économique et politique.
Sur le plan épidémiologique, la Chine a vécu « sous cloche » (en total isolement) les premières vagues de COVID-19, avec une vaccination inférieure quantitativement et qualitativement (la faiblesse des vaccins Sinovac et Sinopharm). Si elle veut « ouvrir », elle se retrouve plus vulnérable que d’autres régions du monde.
Ces autres régions, ayant essuyé de plein fouet les premières vagues, en ont acquis une certaine immunité. Il y a aussi le cas des pays qui ont abandonné le « Zéro COVID » après l’avoir embrassé (Taïwan, Nouvelle-Zélande, Australie…). On y trouve plusieurs éléments inexistants en Chine : des gouvernements élus, des médias indépendants, des opinions publiques qui peuvent protester, des scientifiques s’exprimant librement.
Sur le plan économique, le « Zéro COVID » coûte terriblement cher : ce pays qui a longtemps surfé sur des taux de croissance de 8 à 10 % peinera à faire 3 % en 2022.
Ceux qui, au Québec, se sont plaints de la dureté des confinements devraient regarder à Shanghai et à Pékin au printemps 2022, où on a imposé des restrictions d’une dureté et d’une cruauté sans commune mesure avec ce qu’on a connu ici.
En Chine, on a cadenassé les sorties d’édifices, clôturé des pâtés de maisons, enfermé des ouvriers dans leurs usines, imposé des tests PCR quotidiens à des centaines de millions de personnes. À tel point que des spécialistes japonais ont évalué à 2 % du PIB… le coût total de l’administration de ces tests — juste les tests !
Le « Zéro COVID » n’était pas uniquement une stratégie sanitaire. C’était l’occasion d’appliquer l’obsession chinoise du contrôle à tout prix, totale, maniaque. L’obsession du régime de surveiller et de contrôler la population jusqu’aux limites du tolérable.
Aujourd’hui, bien des Chinois voient derrière cette stratégie « protectrice » — à laquelle beaucoup avaient adhéré dans un premier temps — une restriction intolérable aux libertés. La critique « épidémiologique » débouche sur une remise en cause de la légitimité du système. Parce que, dans un régime totalitaire comme celui de Xi Jinping, tout se tient.
François Brousseau est analyste d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com