Chat échaudé craint l’eau froide

En mars 2017, Gaétan Barrette avait refusé d’apposer sa signature au bas de l’« entente » sur le Transfert canadien en matière de santé (TCS), préférant en laisser le soin à son collègue des Finances, Carlos Leitão.

C’est qu’en réalité, elle n’avait d’entente que le nom. Comme d’autres provinces déçues de son contenu, le Québec avait dû se contenter de ce qu’offrait le gouvernement fédéral, qui menaçait d’être encore plus chiche envers celles qui renâclaient. « Ce n’est pas une question de front commun fissuré. C’est une question de rapport de force. Les gouvernements provinciaux ne peuvent pas laisser l’argent sur la table. Le fédéral le sait », avait expliqué M. Barrette.

Disons que certaines provinces avaient accepté cette réalité plus rapidement que d’autres.

Ce texte est publié via notre section Perspectives.

À l’époque, la CAQ avait vivement reproché au gouvernement de Philippe Couillard ce qu’elle avait qualifié de « stratégie au rabais ». On verra bien si celui de François Legault saura faire mieux ou préférera « laisser l’argent sur la table » plutôt que de s’écraser devant Ottawa.

Le nouveau psychodrame du TCS commencera officiellement lundi à Vancouver, où le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, assure qu’il accueillera ses homologues provinciaux avec un esprit « positif » et de « collaboration ». C’est aussi ce que disait sa prédécesseure, Jane Philpott, il y a cinq ans, avant d’imposer une diminution du taux d’augmentation annuelle du TCS de 6 % à 3 %.

La soudaine conversion du gouvernement Trudeau aux vertus de la rigueur budgétaire, comme illustrée par la mise à jour économique de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, s’accorde mal avec les demandes des provinces, qui veulent que la contribution fédérale au financement des soins de santé passe de 22 % à 35 % des coûts, soit une hausse initiale de 28 milliards de dollars, assortie d’une augmentation annuelle de 6 %.

L’entrevue que M. Duclos a accordée au Devoir est révélatrice de l’orientation qu’il souhaite donner aux discussions, et elle n’est pas précisément de nature à rassurer les provinces.

« Ce débat sur les dollars et les points de pourcentage est un débat qui peut nous amener à un discours futile. Et le travail le plus utile, c’est celui de reconnaître que notre système de santé a des défis chroniques qui demandent des investissements additionnels sur certains dossiers que l’on sait importants », a-t-il expliqué.

Il est facile de trouver « futile » de parler de gros sous quand on n’administre rien. Quand on doit gérer un budget dont la moitié est accaparée par des dépenses de santé, compter les dollars et penser aux années à venir n’a rien d’un caprice. Ce n’est certainement pas à Christian Dubé, qui ne sait plus quoi imaginer pour empêcher l’implosion du système de santé québécois, qu’on va apprendre qu’il y a « des défis chroniques qui demandent des investissements importants ».

Il est toujours enrageant d’entendre un ministre fédéral parler de « notre système de santé », alors que la Constitution précise clairement qu’il s’agit d’un domaine de compétence strictement provinciale. Au Canada, il n’y a pas un, mais plutôt « des » systèmes de santé.

Les provinces sont certainement les mieux placées pour établir « les dossiers que l’on sait importants ». Or, il ressort clairement des propos de M. Duclos qu’Ottawa entend encore une fois imposer ses priorités.

On évoque avec une sorte de nostalgie l’entente de 2004, quand le gouvernement de Paul Martin avait consenti une augmentation annuelle du TCS de 6 %. À l’époque, cela faisait sept ans de suite que le budget fédéral était en équilibre, ce qui constituait une première depuis la création de la fédération. Le retour au déficit zéro en 2027-2028 prévu par Mme Freeland demeure quant à lui très hypothétique.

En revanche, rien n’interdirait de revenir au principe d’asymétrie, en vertu duquel l’entente de 2004 avait exempté le Québec des conditions auxquelles les autres provinces étaient astreintes.

Rien, sauf la vision centralisatrice du gouvernement Trudeau. Lors des négociations précédant l’« entente » de 2017, Gaétan Barrette lui avait déjà reproché d’être revenu à l’historique « fédéralisme prédateur » et d’avoir menacé de pénaliser les provinces qui n’acceptaient pas de se soumettre à ses volontés.

Si le Québec insiste toujours pour un transfert « sans condition », il est à prévoir que certaines provinces vont accepter encore une fois de s’y soumettre et quitter le prétendu front commun. Jean-Yves Duclos l’a reconnu de façon suave : certaines d’entre elles « sont déjà un peu en avance sur d’autres » et « auront peut-être besoin de moins de temps pour signaler ce qu’elles souhaitent ».

Il assure que son gouvernement n’entend pas utiliser la manière forte contre les récalcitrants, comme un récent texte du Toronto Star lui en prêtait l’intention, mais on peut certainement comprendre l’appréhension des provinces. Chat échaudé craint l’eau froide.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.



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