L’époque de l’affrontement

Dimanche s’ouvre la 27e Conférence climatique de l’ONU (COP27), à Charm el-Cheikh, en Égypte. Le temps passe, les fractions de degré s’ajoutent au réchauffement planétaire espéré et les cérémonies diplomatiques se succèdent dans une ronde imperturbable. Étonnant comme le sérieux dans l’exécution résiste à l’extinction progressive de l’espoir.

L’enchaînement effréné des catastrophes en tous genres nous le fait vite oublier (la dernière année ne nous a donné aucun répit), mais la répétition du rituel rappelle la note amère sur laquelle s’étaient conclues les discussions l’an dernier, à Glasgow. On se souviendra de la volte-face de l’Inde et de la Chine, qui avaient exigé, à la dernière minute, une modification du texte final de l’accord afin d’écarter le moratoire sur l’exploitation du charbon au profit d’un simple engagement à en réduire l’utilisation. La montagne accouchait d’une souris, ce qui a poussé le président de la conférence, Alok Sharma, au bord des larmes. « Je suis profondément désolé », avait-il déclaré devant la presse.

On s’était empressé, en Occident, de désigner l’Inde et la Chine comme des mégaémetteurs voyous, reléguant au second plan la timidité de l’accord sur les points liés à la responsabilité historique des pays riches dans les émissions planétaires. Il est fort commode de pouvoir faire les gros yeux à l’Inde et à la Chine pour ne pas avoir à se justifier, par exemple, d’avoir écarté l’adoption d’un mécanisme officiel d’aide et de réparation pour épauler les pays qui, aujourd’hui, paient le prix de la gloutonnerie du Nord mondial.

Cette année, la COP27 débute sur fond de cynisme et de contestation. Dans ces pages, on apprenait cette semaine que Justin Trudeau ne se rendrait pas en Égypte, lui qui a plutôt désigné son ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, comme émissaire. Au cabinet du premier ministre, on a justifié cette absence en disant que « les leaders ne participent généralement pas à chaque sommet », et rappelé que le Canada s’apprêtait tout de même à être l’hôte de la Conférence de l’ONU sur la biodiversité qui aura lieu en décembre à Montréal (COP15).

Le Canada n’aurait donc pas à rougir de son « engagement continu à lutter contre le changement climatique au pays et avec [ses] partenaires internationaux ». Tiens donc. Rappelons tout de même qu’à l’approche de la COP27, l’ONU invitait les États à revoir à la hausse leurs cibles de réduction des gaz à effet de serre, lesquelles sont insuffisantes pour qu’on reste sur une trajectoire de réchauffement limité à 1,5 degré. Sauf qu’Ottawa n’a pas bougé, et plutôt annoncé maintenir sa cible à 40 % d’ici 2030 — une cible que nous sommes en voie de rater lamentablement.

Le lustre des grandes messes diplomatiques pour le climat est déjà terni dans les rangs écologistes. Lors de la COP26, à Glasgow, David Suzuki annonçait avoir tourné le dos à ces événements, soulignant que la surreprésentation de l’industrie pétrolière était une démonstration claire de leurs limites. Puis, cette année, Greta Thunberg annonçait qu’elle ne se rendrait pas à la COP27, la qualifiant de vaste entreprise de « greenwashing ».

La militante déplore aussi le peu de place accordé aux organisations de la société civile, surtout dans le contexte répressif de l’Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi. Elle joint ce faisant sa voix à la coalition COP Civic Space, qui milite pour que les questions de droits de la personne soient davantage prises au sérieux dans le cadre des sommets climatiques de l’ONU.

En 2021, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association mettait le monde en garde contre les risques grandissants auxquels s’exposent les militants et les organisations de la société civile qui luttent pour la justice climatique, partout à travers le monde. À mesure que l’urgence climatique s’intensifie, on constate que la répression, elle aussi, tend à croître — tant de la part des États que des entreprises gênées dans leurs ambitions.

Les instances de concertation internationale sur le climat ne peuvent pas ignorer cette dimension. Si l’on se soucie de la justice climatique, la protection des droits et libertés des gens qui se trouvent au front des luttes environnementales doit être une priorité. Or, à la COP, cela forcerait les parties à soulever des questions inconfortables, à affronter leurs homologues relativement à leur bilan en matière de droits de la personne. On doute que cela cadre avec l’esprit de bonne entente qu’on veut à tout prix faire régner sur ces conférences…

Ce qui nous ramène à une autre question inconfortable : la responsabilité des pays riches à l’égard des économies émergentes, qui peinent à régler la note de l’adaptation aux changements climatiques. En octobre, le V20, groupe rassemblant 58 États « climatiquement vulnérables » représentant 1,5 milliard de personnes et responsables de 5 % des émissions mondiales, annonçait son intention de suspendre le paiement de sa dette collective, qui s’élève à 685 milliards de dollars américains. On réclame la création d’un fonds international visant à compenser les pertes et préjudices causés par la crise climatique. Réussira-t-on encore à balayer cet enjeu sous le tapis, à Charm el-Cheikh ?

Si les conférences climatiques de l’ONU veulent conserver leur pertinence, il faudra accepter qu’en cette époque d’urgence et de grands bouleversements, l’affrontement est inévitable. Sinon, aussi bien rester chez soi.

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