Changement de ton à la Banque du Canada
Faut-il croire ou espérer ? Il est permis de déceler dans les propos utilisés par la Banque du Canada que la hausse de 50 points du taux directeur commandée mercredi précéderait une augmentation additionnelle — vraisemblablement de 25 points, au plus de 50 points — le 7 décembre, qui pourrait être la dernière de ce cycle haussier. Rêver ne coûte pas cher.
Alors qu’un scénario de 75 points de base étendait ses racines, la Banque du Canada a plutôt opté pour une hausse de 50 points de son taux cible du financement à un jour, pour le pousser à 3,75 %. On parle d’une sixième augmentation cette année, d’un bond de 350 points au total depuis le taux de 0,25 % en mars. Et ce ne serait pas fini. « Le Conseil de direction s’attend à ce que le taux directeur doive encore augmenter », prend soin de souligner la Banque du Canada.
Mais le ton est devenu plus conditionnel. Avec le décalage de l’impact de l’austérité monétaire sur l’activité économique, « les futures hausses de taux seront influencées par nos évaluations : de l’efficacité du resserrement de la politique monétaire pour ralentir la demande, de la résolution des problèmes d’approvisionnement, et de la réaction de l’inflation et des attentes d’inflation aux hausses de taux ». Et elle prend soin de rappeler que le resserrement quantitatif, qui consiste à sortir de son bilan les titres obligataires du gouvernement achetés lors de la crise sanitaire, juxtapose un effet complémentaire aux augmentations du taux directeur.
La hausse rapide du loyer de l’argent
La détérioration de l’activité économique provoquée par la hausse rapide du loyer de l’argent prend de plus en plus de mordant. La Banque du Canada prévoit désormais que la croissance du PIB passera de 3,25 % à 0,9 % l’an prochain, un rythme réduit de moitié par rapport à sa prévision de 1,8 % pour 2023 formulée en juillet. À l’échelle mondiale, la croissance prévue n’est plus que de 1,5 % l’an prochain, contre 3 % en 2022. Aux États-Unis, elle devrait être près de zéro durant la majeure partie de 2023.
« Les effets des récentes hausses du taux directeur […] deviennent apparents dans les secteurs de l’économie qui sont sensibles aux taux d’intérêt : l’activité sur le marché du logement a accusé un recul marqué, et les dépenses des ménages et des entreprises sont en train de se modérer. De plus, le ralentissement de la demande internationale commence à peser sur les exportations », écrit-elle.
Elle n’ose pas nommer le mot, mais n’écarte pas un scénario de récession. Elle voit la croissance du PIB revenir autour de 1,5 % au troisième trimestre pour décélérer davantage et s’établir entre 0 et 0,5 % jusqu’à la fin de 2022 et au premier semestre de 2023. « Cela donne à penser que, durant quelques trimestres, la croissance pourrait tout aussi bien être un peu en deçà de zéro qu’être légèrement positive », lit-on dans le Rapport sur la politique monétaire publié mercredi.
Tout n’est toutefois pas derrière nous. « L’économie demeure en situation de demande excédentaire et les marchés du travail restent tendus », indique la Banque. Pour ensuite prévoir que cette demande excédentaire « fera place à une offre excédentaire au début de 2023 ».
Il reste l’inflation
Mais il reste que la flambée des prix s’accroche obstinément bien au-delà des cibles, et qu’elle demeure généralisée. Même si l’inflation telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) est descendue dans les trois derniers mois, à 6,9 %, les deux tiers des composantes de l’IPC affichent une hausse de plus de 5 % au cours de la dernière année.
Uniquement sur la facture d’épicerie, Statistique Canada a mesuré une poussée de 11,4 % des prix des aliments achetés en magasin en septembre, soit la hausse d’une année à l’autre la plus intense depuis celle de 11,9 % d’août 1981. Dans l’IPC, sur les 20 principales composantes du sous-indice des aliments achetés en magasin, plus des quatre cinquièmes des articles connaissent une hausse de prix supérieure à 7 %, ajoute la Banque du Canada.
Quant aux coûts d’emprunt, les ménages qui renouvellent leur prêt font face à une augmentation supérieure à celles observées dans les cycles de resserrement monétaire des 30 dernières années, souligne-t-elle. Rien de moins !
« La forte inflation pèse sur les budgets des ménages et met de nombreuses familles canadiennes en difficulté, comme en témoigne la hausse des coûts du logement et des prix des aliments. Ces coûts représentent approximativement 40 % des dépenses couvertes par le panier de l’IPC et, habituellement, une plus grande proportion des dépenses des ménages à bas revenu. »
La banque centrale déplore que les mesures de l’inflation fondamentale qu’elle privilégie n’indiquent pas encore de manière significative une atténuation des pressions sous-jacentes sur les prix. Et que les attentes d’inflation à court terme, qui demeurent élevées, accroissent le risque que la forte inflation s’enracine. Elle s’attend toutefois à ce que l’IPC baisse avec un rééquilibrage de l’offre et de la demande sous l’effet de la hausse des taux. Également à ce que les pressions sur les prix causées par les perturbations des chaînes d’approvisionnement s’estompent, que les effets passés de la vigueur des prix des produits de base se dissipent, et que le recul des prix des produits agricoles observés dans les derniers mois vienne alléger la pression sur les prix des aliments.
Tout cela pour dire qu’elle entrevoit une descente du rythme d’augmentation de l’IPC aux alentours de 3 % à la fin de 2023, puis un retour à la cible de 2 % à la fin de 2024.