Immoler le Gala Québec Cinéma
On s’entend tous pour dire que le dernier gala de Québec Cinéma, en juin dernier, s’est enfargé dans ses lacets de bottine. Les gags tombant à plat les uns après les autres enfonçaient le clou du cercueil. La pauvre animatrice Geneviève Schmidt n’était pas la seule artisane du désastre. Des scribes avaient commis ces textes sans sel, semant au parterre des mines consternées. Un manque de mordant, d’émotion, de poésie, des remerciements en général sans éclat, des présentateurs peu inspirants. Ouille. L’assistance déjà ébréchée en salle par la pandémie se rétrécissait au foyer pour le grand rendez-vous annuel du septième art national. Près de 500 000 spectateurs, quand même…
N’empêche ! La passion pour le cinéma aurait dû enflammer cette cérémonie. On souhaitait la levée d’une vague emportant la scène, l’auditoire au studio 42 de Radio-Canada et le public en pantoufles, en appel aux pleines retrouvailles avec nos films. Même ceux que bien des gens n’avaient pas vus en ces temps covidiens… Dur, il est vrai.
Restait à revoir la formule, à l’enrober de rêve et de folie, d’images magiques et originales lancées par nos cinéastes pour la chevauchée fantastique.
Restait aussi à sortir la remise des Iris de sa case de calendrier en juin, qui s’éloigne depuis cinq ans de la cuvée cinématographique célébrée. En cette saison, le public respire déjà les vapeurs de l’été, avec des films plus frais en mémoire et d’autres au loin à portée de vue. La décision de repousser ses dates en 2017 pour mieux se dissocier de l’ancien nom Jutra, dans la foulée du scandale sexuel ayant éclaboussé de façon posthume le cinéaste d’À tout prendre, fut une erreur facilement corrigible.
Quant au reste, bienvenue à l’imagination et à l’audace dans les rangs des scénaristes, des animateurs comme des lauréats. Oyez ! Oyez ! On a besoin des lumières de tous.
Mais couper le cordon, comme l’a fait Radio-Canada cette semaine en annonçant le retrait du gala de ses ondes, voici qui relève de la brutalité et du pur manque de vision artistique. « Radio-Canada abandonne le cinéma québécois », titrait mardi dans un communiqué l’Association québécoise de la production médiatique. Le milieu crie, les cinéphiles sentent le tapis leur glisser sous les pieds après 25 ans de fête célébrée sur ses ondes, des prix Jutra aux prix Iris. Certaines personnes accueillent la nouvelle avec indifférence. La formule avait fait son temps. Hop là, au suivant !
Pas si simple. Déjà que la société d’État réserve la portion congrue aux films québécois au long de l’année. Sa mission culturelle et pédagogique pique lentement et sûrement du nez.
TVA a annoncé en juin dernier laisser tomber la soirée Artis, consacrée aux artistes télévisuels, après 36 ans de diffusion. L’intérêt pour ce genre de galas décroît à travers le monde, évoquait-on en haut lieu. Même les Oscar battent de l’aile, voyez !
Sauf que Radio-Canada, à l’encontre de TVA, demeure une chaîne publique assortie d’une mission pédagogique et culturelle. La maison se voit dûment subventionnée pour lui éviter d’être à la merci des cotes d’écoute, histoire d’offrir aux spectateurs une production de qualité. Sauf qu’elle joue sans cesse du coude avec ses concurrentes du privé, compte les têtes de pipe qui se farcissent ses émissions du petit écran, sacrifiant les bonnes ou mauvaises herbes qui n’ont pas su lever. Du coup, toute perspective, à l’heure où la culture cherche sa voie pour survolter de nouveaux publics, se trouve effacée par des décisions à l’emporte-pièce. Le diffuseur a des responsabilités face à son auditoire en perte de repères et a les moyens de les acquitter. De plus, les médias tirent dans le pied de la SRC en brandissant des chiffres d’audience là où ils devraient saluer les initiatives de finesse et d’ancrage pour la suite du monde. Des valeurs et des messages sont à changer.
Renvoyer en partie dans la cour d’une émission de variétés comme Bonsoir bonsoir ! le soin de causer cinéma une fois par année à la place du gala relève d’une terrible abdication de Radio-Canada. La cinéphilie n’est pas tatouée au coeur de Jean-Philippe Wauthier. La partie doit se jouer dans une case consacrée, pour l’amour d’un art en quête de sens qui dépasse les clignotements du vedettariat, du divertissement et de l’humour.
Des galas du cinéma québécois, j’en ai vu de toutes sortes au fil des ans. Des vulgaires et des admirables, des émouvants et des courts sur pattes. Mais ils maintenaient un lien entre les artisans des oeuvres nationales et le grand public. Et qui n’a pas besoin aujourd’hui de l’inspiration des créateurs pour s’envoler, pour respirer, pour oser voir au loin dans un désert d’espoir ? L’art est à la fois une oasis et un cavalier. Non, quand un mauvais vent passe, ne lui claquez pas la porte au nez.