L’audace d’oser

Les étincelles disparaissent généralement sans faire de dommages, mais on ne sait jamais quand une d’entre elles va provoquer un incendie.

En 1975, rares étaient ceux qui auraient parié que la lutte menée par la toute nouvelle Association des gens de l’air enflammerait le Québec et paverait la voie à la victoire du Parti québécois (PQ), à peine trois ans après que les libéraux de Robert Bourassa eurent fait élire 102 députés.

Les contrôleurs aériens n’étaient pas les seuls francophones à se voir forcés d’utiliser l’anglais au travail, mais leur combat a pris valeur de symbole et a transcendé les lignes partisanes. Au chapitre de la langue, fédéralistes et souverainistes partageaient les mêmes frustrations.

Imposer aux députés de prêter allégeance à la couronne une fois tous les quatre ans peut sembler n’être qu’une formalité un peu désuète, dont il est possible de s’acquitter en se bouchant le nez, mais il y a là une forme d’humiliation collective, à laquelle Paul St-Pierre Plamondon a simplement fait écho.

Le premier ministre Legault aurait tout intérêt à trouver un moyen expéditif pour lui permettre de faire son entrée à l’Assemblée nationale, comme le chef du PQ lui en a fait la demande.

Il serait imprudent de faire poireauter les trois députés péquistes élus le 3 octobre dernier jusqu’à l’adoption d’une loi qui les exempterait de prêter serment au roi Charles III. Ils ne demandent certainement pas mieux que de se transformer en martyrs de la démocratie québécoise bafouée par les descendants du conquérant.

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Si René Lévesque, Jacques Parizeau ou Lucien Bouchard avaient entrepris un mandat en contestant le serment d’allégeance à la reine, la levée de boucliers aurait été immédiate au Canada anglais, où l’attachement à la monarchie est pourtant en baisse. On y aurait inévitablement vu une manoeuvre séparatiste, tandis que M. Legault se présente maintenant comme un défenseur de l’unité canadienne.

Au Québec, l’opinion publique comprendrait mal que le premier ministre laisse indûment traîner les choses. On y verrait moins le souci de respecter des dispositions constitutionnelles sur lesquelles les juristes ne s’entendent pas qu’une sorte de mesquinerie envers un parti qui lui donne mauvaise conscience.

Se retrouver au ban du Parlement assurerait d’ailleurs au PQ une visibilité dont il ne bénéficierait pas à l’intérieur avec seulement trois députés. Depuis les élections, sa contestation du serment au roi lui en a valu davantage qu’à tous les autres partis d’opposition réunis. Le collectif d’artistes qui lui ont accordé leur appui risquerait de faire rapidement boule de neige.

En réalité, M. Legault devrait remercier M. St-Pierre Plamondon de lui donner l’occasion de faire à peu de frais une démonstration de cette autonomie dont il nous rebat les oreilles depuis des années sans que jamais elle ne se concrétise. Qui sait, cela lui donnera peut-être l’audace d’oser dans d’autres domaines où il s’en tient à des rodomontades.

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Si la collaboration de Québec solidaire (QS) dans cette affaire semble acquise, celle du Parti libéral (PLQ) pourrait être plus embarrassante. En juin dernier, les libéraux s’étaient opposés au projet de loi présenté par QS qui visait à reconnaître le serment au peuple québécois comme le seul nécessaire à l’entrée en fonction d’un député.

Le porte-parole du PLQ et député de LaFontaine, Marc Tanguay, soutenait alors que la constitutionnalité d’une telle loi serait nécessairement contestée devant les tribunaux, ce qui entraînerait des dépenses qu’il jugeait injustifiables.

Il voyait surtout une manifestation de « gouvernance souverainiste » dans l’appui que le gouvernement Legault avait donné à ce « geste de rupture », même s’il avait manoeuvré pour retarder l’examen du projet de loi jusqu’à ce que son adoption devienne impossible avant la dissolution de l’Assemblée nationale.

Bien entendu, c’était avant les élections, dont les résultats ont confirmé de façon éclatante la totale déconnexion du PLQ de la majorité francophone. Éclairé par cette cuisante défaite, il aura peut-être découvert qu’exempter les députés du serment à la couronne est non seulement possible sur le plan légal, mais également souhaitable, et qu’on ne doit pas y voir un quelconque rejet du lien fédéral.

M. Tanguay n’avait pourtant pas tort de penser que la légalité du geste pourrait être contestée. Même si la Constitution ne prévoit aucune sanction contre un député qui refuserait de prêter allégeance au roi, ses dispositions prêtent à diverses interprétations.

Quelqu’un au Canada sera sans doute d’avis qu’il convient de rappeler aux Québécois qu’ils font toujours partie de la fédération, que cela leur plaise ou non, et que l’allégeance à la couronne vient avec la péréquation.

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