1962-2022

En octobre 1962, le monde frôla la guerre nucléaire. Cuba, sous la direction d’un Fidel Castro déchaîné à la suite de la tentative d’invasion de la baie des Cochons, venait d’accepter l’installation sur son territoire de bombes atomiques soviétiques pointées sur Miami, New York et Washington.

En ce 60e anniversaire de la « crise des missiles », l’angoisse nucléaire revient hanter le monde. Le parallèle est inévitable avec la situation actuelle.

Ses projets étant frustrés en Ukraine, Vladimir Poutine menace de façon voilée d’utiliser « la bombe » de façon tactique… sans compter les blogueurs et commentateurs russes, dont certains appellent carrément à « vitrifier Washington ».

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Mais 2022 n’est pas 1962.

La situation en 1962 était à la fois plus simple et plus dangereuse. C’était essentiellement deux puissances nucléaires, États-Unis et URSS, s’affrontant au bord du gouffre.

Il y a 60 ans, l’URSS avait des alliés en Europe de l’Est, mais aussi à Cuba, qui venait de réussir sa révolution. L’État cubain était vite devenu ce qu’il n’était pas en 1959 : un pays communiste prosoviétique, une avancée stratégique de l’URSS en mer des Caraïbes.

L’installation secrète de missiles nucléaires, à 150 kilomètres des côtes de Floride, venait sceller cette union stratégique et menaçait directement les États-Unis. C’était le souhait ardent de Castro — qui, on l’apprendra plus tard, préconisa carrément l’utilisation de la bombe atomique contre les États-Unis.

Heureusement pour l’humanité, l’envie castriste de vitrifier Washington ne sera pas du goût de ses tuteurs soviétiques !

Aujourd’hui, il n’y a pas de symétrie dans l’affrontement. En 1962, le monde était bipolaire, même au-delà de l’hémisphère Nord. Aujourd’hui, il est multipolaire, avec une Chine qui a nettement dépassé la Russie.

En 2022, une puissance nucléaire a attaqué un voisin non nucléaire, dans une invasion territoriale, une guerre coloniale qui est aussi une guerre de terrain, avec des moyens « conventionnels » (qui incluent les bombardements contre civils).

Le pays agressé a des soutiens qui ne sont pas des alliés stricto sensu. Tout comme le soutien militaire soviétique au Nord-Vietnam, dans les années 1960 et 1970, n’était pas de la « cobelligérance »… même si, à l’époque, il s’avéra décisif dans la victoire des communistes contre les États-Unis.

Aujourd’hui, les soutiens de l’Ukraine envoient massivement des armes conventionnelles lui permettant de se défendre. On pensait que la Russie, puissance nucléaire, était également très capable sur le terrain, avec des chars, une artillerie, des avions… Mais on découvre — c’est un élément capital de la donne actuelle — qu’elle est beaucoup plus faible qu’on le pensait.

C’est cette faiblesse qui induit aujourd’hui le chantage nucléaire russe, même s’il y a un débat sur le sérieux des menaces du Kremlin, autour de la question : « Poutine bluffe-t-il ? »
 

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Autre différence importante : en 1962, il y eut de part et d’autre une volonté de négocier. Et ce, malgré l’absence de moyens de communication modernes (le fameux « téléphone rouge » ne sera instauré qu’en 1963, après cette crise et à cause d’elle)… dont on voit bien, aujourd’hui, qu’ils ne sont pas une panacée pour la paix !

Des deux bords, à l’interne, à Washington comme à Moscou, un « camp de la négociation », hanté par le danger de l’holocauste nucléaire, s’opposera à un « camp des durs », qui a le doigt sur le bouton rouge.

À Washington, le président Kennedy tient tête — surtout après l’épisode de l’avion américain abattu, à l’avant-dernier jour de la crise — aux généraux qui voulaient absolument frapper Cuba. L’affaire est bien racontée dans le film Treize Jours sorti en 2000, basé entre autres sur les mémoires de Robert Kennedy, qui assista son frère tout au long de cette crise.

Côté soviétique, des généraux et certains membres du Politburo voulaient la guerre et entendaient défendre Cuba comme si c’était l’URSS, même au prix d’une guerre nucléaire. Castro était dans ce camp des « durs ». Mais en face, il y avait Khrouchtchev, le secrétaire général, et puis le numéro 2 du régime, Anastase Mikoïan — dont le rôle un peu oublié a été capital (comme celui de l’ambassadeur soviétique à Washington, Anatoli Dobrynine).

Mikoïan s’est rendu à La Havane pour convaincre Castro d’accepter le compromis qui s’était développé in extremis : retrait des missiles en échange d’une promesse américaine de ne pas attaquer militairement Cuba (promesse historiquement tenue)… et aussi — clause secrète — un retrait des missiles Jupiter installés en Turquie par Eisenhower, dirigés vers l’Union soviétique.

Ce type de dénouement n’est pas à l’ordre du jour en 2022. Chacune pour ses raisons, les deux parties veulent actuellement continuer la guerre. Le danger d’un débordement nucléaire en 2022 n’est encore qu’une hypothèse à probabilité non nulle… alors qu’en 1962, c’était une possibilité concrète, immédiate et terrifiante.

François Brousseau est analyste d’affaires internationales à Ici Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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