D’Armandie et de mots

Sous un ciel contrarié, la pluie nous a chassés des vignes. Le Clos de l’Orme blanc ne met pas d’eau dans son vin ; la cueillette des grappes vertes et charnues est remise. Je reviendrai lundi me chauffer la couenne au soleil tendre d’octobre et m’infliger un mal de dos inévitable. Les vendangeurs bénévoles, amis, voisins et retraités de passage ne se font pas prier pour goûter au vin blanc servi par Rino Dumont en guise de prix de consolation. « D’habitude, on ne boit pas de vin le midi parce que plus personne ne veut retourner dans les vignes après ! » fait remarquer Rino, qui ménage ses troupes. « Le 2021 est un excellent millésime partout au Québec », ajoute Lucie Debien, maîtresse de chai du Clos. « On ne pourra pas en dire autant du 2022, il a trop plu. »
Soumis aux caprices cyclothymiques du climat, les vignobles québécois s’en sortent plutôt bien côté qualité. Pascale, une agente en vin française venue prêter main-forte aux vendanges de ses voisins, opine du bonnet en goûtant au seyval blanc. « Avant, les acheteurs étaient sceptiques. Mais depuis dix ans, ça s’est amélioré : les vins québécois sont à l’honneur. » Elle-même est venue s’installer dans la région, sur la route des vins, en Armandie.
« On s’en sort mieux grâce à la protection hivernale géotextile », souligne Rino, qui doit étendre 7 km de couvertes sur ses vignes à l’automne.

Certaines personnes enchantent tout ce qu’elles touchent, que ce soit un lieu, un projet ou un objet. Lucie Debien et Rino Dumont ont métamorphosé le domaine qu’ils occupent depuis 2009, en Estrie. « Nous, on ne cherchait qu’une maison de campagne où s’évader », explique Lucie, 59 ans, ex-ingénieure civile et en environnement qui s’émerveille de tout. Mais cet ancien vignoble abandonné depuis l’an 2000 n’avait pas dit son dernier mot. Les 3600 vignes de seyval en friche ont charmé les deux ingénieurs, au point qu’ils ont quitté leur emploi pour s’occuper d’elles et en faire leur vin quotidien. « On ne pouvait pas laisser tout cela à l’abandon, explique la maîtresse des lieux. Tant qu’à faire… on a suivi des cours, des formations, lu en masse et cultivé du raisin pendant 4 ans pour les autres vignobles avant de se lancer. Pour des hyper-rationnels comme nous deux, c’était intéressant, car il y a tout un côté scientifique au vin, la chimie, la biologie. » Ils cueillent aussi selon le calendrier biodynamique, en phase avec la lune, journée fleur ou journée fruit, c’est selon. Le résultat ? Quelque 8000 bouteilles de blanc par année, sans produits chimiques de synthèse et une distribution confidentielle mais fidèle.
Raisins et raison
« Tout le monde devrait faire de l’ingénierie avant d’avoir un vignoble », me glisse Lucie en actionnant le pressoir italien qui pisse son jus lentement durant deux heures dans les cuves en inox à la propreté étincelante. « Nous sommes constamment en mode solution. Il n’y a pas deux vignobles qui font face aux mêmes problèmes. »
Les deux ingénieurs ne sont pas que des souris de laboratoire, ce sont aussi deux rats de bibliothèque. Après avoir retapé la maison, les vignes et le chai, ils ont trouvé une vocation toute particulière à leur grange d’origine, dont les vieilles planches laissaient entrer les mulots et le vent. « Nous avions trop de livres dans la maison et nous ne savions plus où les mettre », confie Lucie. « On s’est dit à la blague qu’on pourrait peut-être faire une bibliothèque dans la grange. On a testé le concept un hiver en y déposant des livres pour voir s’ils résisteraient au froid. Et ils étaient intacts au printemps. Alors, on a construit des tablettes et on a inauguré La grange à livres. »
Le travail fait les jours prospères, le vin fait les dimanches heureux.
Cet endroit unique qui engrange 12 000 classiques, oubliés ou récents, jusqu’au plafond, est ouvert aux résidents du coin et aux touristes, du printemps aux premières neiges. On y croise la biographie de Tolstoï par sa fille, Horoscope 2022 d’Anne-Marie Chalifoux, Harry Potter, Michel Tremblay ou Robert Lalonde et une section « Livres qu’il faut avoir lus » dans laquelle j’ai glissé (scusez, ça s’imposait) Zazie dans le métro, de Raymond Queneau.
J’y ai repéré Le zéro et l’infini, les Contes de Ferron, Jane Eyre, Le hussard sur le toit et j’ai emprunté Les paradis artificiels de Baudelaire (1860) où il nous entretient de vin et de haschich, « comparés comme moyens de multiplication de l’individualité ». Je ne sais pas encore lequel l’emporte. J’y ai trouvé une phrase de 75 mots alors qu’à l’université, j’ai appris qu’un lecteur moyen ne pouvait pas en digérer plus de 14. J’imagine que le vin (ou le haschich) aidant…
« Profondes joies du vin, qui ne vous a connues ? Quiconque a eu un remords à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous enfin vous ont invoqué, dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu’ils sont grands les spectacles du vin, illuminés par le soleil intérieur. Qu’elle est vraie et brûlante cette seconde jeunesse que l’homme puise en lui ! »
Du vin et des livres
Dans cette grange où je me suis perdue seule comme dans une salle de musée hantée, j’ai retrouvé des trésors jaunis, des auteurs fantômes. Ne me manquait qu’un verre de vin pour emprunter des labyrinthes baudelairiens. Évidemment, les vins du Clos de l’Orme blanc portent des étiquettes littéraires « Au pied de la lettre » (Seyval), « Mot dit » (Pinot gris), « Plume » (Savagnin), apposées à la main.
« La grange à livres correspondait à notre plan d’affaires, à nos valeurs : partager un endroit calme, glisse Lucie. On ne veut pas faire de mariages ou de partys, d’autres vignobles le font très bien. On offre l’endroit pour que les gens viennent en profiter, pique-niquer, se poser. »
Il y a sur la boule terrestre une foule innombrable, innomée, dont le sommeil n’endormirait pas suffisamment les souffrances. Le vin compose pour eux des chants et des poèmes.
J’apprends au détour d’un texte déniché par nos ingénieux vignerons que l’odeur des vieux livres au parfum d’amande et de vanille provient du benzaldéhyde et de l’éthylbenzène (présent dans le pétrole aussi), et que Karl Lagerfeld en a même fait un parfum, Paper Passion, à l’odeur silencieuse de papier.
À quand des dégustations de vieux livres et vins, tous millésimes confondus, une sorte de paradis naturel au paradis perdu ?
Instagram : josee.blanchette
Joblog | Dégel en eaux profondes
« VINCENT
Je suis capable de me faire croire que je fais quelque chose pour l’environnement parce que je composte.
Je suis capable de me faire croire que je lutte contre le capitalisme parce que je donne cinq piasses à Médecins sans frontières.
Mais là,
Faudrait avoir le piton déni enfoncé ben profond
Pour continuer à dormir. »
Dormir sur un viol commis avec son ami Sébastien « avec » ou contre sa blonde d’il y a 25 ans. La pièce Les glaces, écrite par Rébecca Déraspe, est un réveil brutal pour deux gars qui revisitent leur adolescence et leurs pulsions mal gérées. Texte fort, comédiens solides, tout y est pour nous faire passer un deux heures intense devant les faux-fuyants et la lâcheté des hommes impliqués.
La sororité l’emporte, et c’est grâce à elle si on ressort de cette pièce un peu plus noble en tant qu’espèce. Toutes les femmes décident de parler et d’aider, de court-circuiter la chaîne maudite des agressions sexuelles, même si cela va contre leurs propres intérêts et exige un courage certain.
À voir, jusqu’au 5 novembre.
Noté qu’on peut « emprunter » deux livres à la Grange à livres et l’administration vous demande de les rapporter dans un délai « raisonnable ». Pas d’amende, pas de surveillance, que des tables, des chaises, et des petits coins pour lire. On accepte les dons. Ouvert de 11 h à 17 h les samedis et dimanches jusqu’aux premières neiges. bit.ly/3ekNTOs
Pour trouver les vins du Clos de l’Orme blanc en épicerie : bit.ly/3CvRLUC
On vendange cette fin de semaine !
Aimé le livre de Mathew Foulidis, Jusqu’à la dernière miette. Ces 60 recettes à base de pain puisent dans la tradition italienne pour nous faire saliver. Je vais essayer les polpette di melanzane (aubergines). On y retrouve aussi des recettes de pita, de challah (ma brioche favorite), de ciabatta, de focaccia. On vous donne tous les trucs de boulangerie maison pour faire du pain un réel plat. À l’heure où le pain devient aussi précieux que le vin, un livre antigaspi qui donne même une « recette » de pane e latte, un plat paysan au pain rassis et au lait, fort populaire dans l’Italie de la Seconde Guerre mondiale.
Essayé la soupe à l’oignon végé de Josée di Stasio dans Mes carnets de saison : automne-hiver. Un délice avec un seyval blanc. C’est bourré de légumes de saison qui ne sont pas que des accompagnements, de potages réconfortants et de douceurs nécessaires, comme une croustade aux pommes fleurant bon la cardamome et un gâteau marrons-choco (auquel j’ajoute une touche de rhum) que mon B me réclame chaque année pour son anniversaire. Un must pour la grande saison du retour aux fourneaux.