Les loyaux sujets de Sa Majesté
Paul St-Pierre Plamondon avait été très clair durant la campagne électorale. S’il était élu député de Camille-Laurin, il allait « confronter les gens à l’Assemblée nationale » en refusant de prêter serment au roi Charles III.
Cela n’ébranlera peut-être pas les colonnes du temple canadien, mais après avoir loué le chef du Parti québécois (PQ) pour avoir fait ouvertement campagne sur la raison d’être de sa formation, on peut difficilement lui reprocher sa cohérence.
Il n’est cependant pas très courageux de laisser à des fonctionnaires le soin de trancher sur une question que les parlementaires eux-mêmes ont choisi d’esquiver. L’équipe du secrétaire général de l’Assemblée nationale préférerait certainement ne pas avoir à décider d’interdire ou non l’accès au Parlement à des élus sous prétexte qu’ils refusent de prêter serment à un monarque dont 80 % des Québécois voudraient se débarrasser.
C’est le 28 février 2019 que le député solidaire de Jean-Lesage, Sol Zanetti, a présenté le projet de loi 192, qui visait à reconnaître le serment des députés envers le peuple du Québec comme le seul nécessaire à leur entrée en fonction.
Il est resté en plan pendant plus de trois ans. C’est seulement le 9 juin 2022 que le gouvernement a décidé d’en entreprendre l’étude en commission parlementaire, alors qu’il était d’ores et déjà impossible de le faire adopter sans qu’il y ait unanimité — et tout le monde savait qu’il n’y en aurait pas.
Après quelques heures de mauvais théâtre, l’Assemblée a été dissoute en prévision des élections et le projet de loi est mort au feuilleton. Autant on reproche fréquemment au gouvernement de suspendre les règles parlementaires pour imposer ses vues, autant il peut être commode d’en prendre prétexte pour ne pas agir.
Bien entendu, chacun s’est bien défendu de tout attachement à la monarchie. Même le député libéral de LaFontaine, Marc Tanguay, assurait ne voir aucune utilité au serment à la reine Élisabeth II, qui était toujours de ce monde, ni à la fonction de lieutenant-gouverneur. L’objection de M. Tanguay était plutôt que les tribunaux allaient vraisemblablement déclarer le projet de loi incompatible avec l’article 128 de la Constitution canadienne, de sorte que son adoption ne servirait qu’à enrichir des avocats avec l’argent des contribuables, qui pourrait certainement être dépensé à meilleur escient.
La saine gestion des fonds publics n’était évidemment pas la seule motivation du député de LaFontaine, qui disait aussi voir dans l’appui de la Coalition avenir Québec (CAQ) à ce « geste de rupture » une nouvelle manifestation de la « gouvernance séparatiste » que dénonçaient les libéraux.
En réalité, l’abolition du serment à la reine était déjà incluse dans le vaste projet de réforme parlementaire que le gouvernement Legault avait présenté en février 2020, mais dont on n’entrevoit pas encore l’aboutissement.
En sa qualité d’adjoint parlementaire du ministre de la Justice, le député caquiste de Chapleau, Mathieu Lévesque, n’était pas en mesure de dire si les juristes de l’État avaient vérifié la constitutionnalité du projet de loi 192, ce qui n’était évidemment pas le cas.
Son collègue péquiste de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé, a plutôt présenté la chose sous l’angle de la liberté de conscience. De la même façon qu’on permet aux députés de voter en fonction de leurs convictions personnelles sur des questions morales particulièrement délicates, chacun devrait avoir la liberté de choisir quel serment il veut prêter, ce qui ne porterait de préjudice à personne.
Puisque la Constitution ne prévoit pas expressément de sanction pour celui qui refuserait de jurer fidélité au roi et que personne n’a encore tenté l’expérience, le sort qui attend M. St-Pierre Plamondon et les deux autres élus péquistes, qui l’imiteront assurément, demeure un point d’interrogation.
La question ne se poserait pas si la majorité des députés se rebellaient ouvertement plutôt que de prêter serment en cachette ou en marmonnant. L’Assemblée nationale a le pouvoir de fixer ses propres règles de fonctionnement. Si les libéraux voulaient être les seuls à s’incliner devant la couronne, grand bien leur fasse.
En 1997, deux députés du Sinn Féin élus au Parlement de Westminster avaient été mis au ban de la Chambre des communes, mais ils ne jouissaient d’aucune sympathie parmi leurs collègues, qui les tenaient pour les représentants politiques d’une organisation terroriste.
Au Québec, comme dans le reste du Canada, l’adhésion au fédéralisme ne se mesure plus à l’attachement à la monarchie, qui tient de plus en plus du folklore. La CAQ appuyait aussi fortement que le PQ le projet de loi présenté par Québec solidaire en 2019.
Le gouvernement Legault n’a encore rien fait pour se débarrasser des « legs impériaux », comme le réclame le « Nouveau projet pour les nationalistes du Québec » de la CAQ. Pour une fois, il pourrait démontrer que ce n’est pas de la frime.