Venir à bout des injures

La tendance à diffuser des propos injurieux à l’endroit d’une personnalité publique ou de son entourage ravive l’intérêt au sujet des règles qui sanctionnent l’injure. Injurier une personne est une faute en droit québécois. Il y a quelques jours, on a vu sur un réseau social des propos méprisants, gratuits et grossiers qui visaient le maire de Québec. Des commentaires qui ont les attributs des injures. Avec la facilité que confère la communication en ligne de lancer des propos injurieux, il faut que les juges soient en mesure d’évaluer rapidement les propos diffusés en ligne à l’égard d’une personne et éventuellement de sanctionner ceux qui constituent une faute d’injure.

Depuis la nuit des temps sont lancés des propos méprisants à l’endroit des personnes, celles qu’on connaît personnellement ou qui évoluent dans l’espace public. Nos lois reconnaissent que le fait d’injurier une personne est une faute qui peut donner lieu à une condamnation à réparer le tort causé. Mais la lourdeur des processus destinés à évaluer le caractère fautif des propos et à les punir a pour conséquence de procurer une quasi-immunité à ceux qui profèrent des injures.

Des propos non factuels

 

L’atteinte à la réputation se présente sous la forme d’une imputation précise de faits de nature à être prouvés. L’injure est plutôt un propos qui ne repose pas sur un fait vérifiable. L’injure concerne des propos qui font mal à la victime, qui lui causent un préjudice qu’elle ressent dans son for intérieur sans que soit nécessairement diminuée l’estime dont elle jouit auprès de son entourage ou du public.

Les tribunaux ont eu à juger du caractère injurieux d’expressions comme « voyou », « chiens enragés » ou encore « maudite folle », « maudite chienne » et « grande hypocrite ». Le trait commun de telles épithètes est qu’elles n’imputent aucun fait à la personne qui en est l’objet.

Dans une décision qui fait jurisprudence, la Cour d’appel explique qu’il faut distinguer le propos injurieux du commentaire critique qui peut être désobligeant. L’analyse des propos doit tenir compte de la globalité du contexte où ils ont été exprimés et non décortiquer des phrases, chirurgicalement extraites de l’ensemble d’un discours. Une telle analyse doit tenir compte du fait que « les tribunaux ne sont pas arbitres en matière de courtoisie, de politesse et de bon goût ».

Il faut donc départager ce qui constitue de l’injure et ce qui relève du commentaire incivil. On doit se placer dans la peau d’un citoyen ordinaire qui comprend que l’on puisse exprimer des commentaires critiques à l’égard d’une personne. Par exemple, dire d’un individu assumant un rôle public qu’il est prétentieux n’est pas vraiment tenir des propos injurieux ; une personnalité publique ne peut plaire à tous et, si elle est perçue par certains comme prétentieuse, il est en soi légitime de partager de telles impressions.

Par contraste, lancer des qualificatifs péjoratifs comme « maudite (sic) gang de crottés » et « maudite (sic) gang de chiens » en visant des individus relève plutôt de l’excès de langage injurieux. Par exemple, dans une affaire mettant en cause un commentateur qui avait traité une dirigeante d’association de « pelote, maudite pelote, maudite pelote de marde, vache, maudite vache, cochonne, chienne, maudite chienne », la Cour d’appel y a vu une diatribe injurieuse, vulgaire et misogyne. Les épithètes avaient franchi le seuil de l’intolérable. Ils ne tenaient plus du commentaire légitime, mais de l’attaque vicieuse, de l’affront et de la malveillance.

L’injure a beau être un acte condamnable, elle est rarement l’objet de recours en justice. Il en coûte tellement de saisir un juge que plusieurs se résignent à l’endurer. Le système judiciaire paraît peu adapté pour le traiter et le punir à des coûts et dans des délais raisonnables.

Le contexte des environnements en ligne exacerbe la nécessité de mettre à niveau les mécanismes juridiques destinés à sanctionner efficacement la faute d’injure. La capacité d’injurier à très large diffusion met à risque la dignité des simples quidams et des célébrités. Rendre les tribunaux capables d’agir efficacement à l’égard des délits qui sont commis en ligne est un moyen de mettre à niveau nos lois avec les enjeux de la communication en ligne.

C’est pourquoi il paraît approprié de prévoir que de tels recours civils en justice se déroulent en ligne. Une approche de ce type est d’ailleurs préconisée à l’égard des conflits impliquant les consommateurs. Un récent rapport de l’Union des consommateurs recense les problèmes d’accès à la justice et recommande la mise en place d’un tribunal de la consommation en ligne. De tels tribunaux en ligne existent en Colombie-Britannique et en Ontario pour traiter de certaines matières civiles, notamment les conflits en matière de copropriété. Le besoin de tels cybertribunaux apparaît tout aussi urgent afin de sanctionner, en temps utile et de manière abordable, les comportements fautifs survenant en ligne.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo