Des bravos, et quelques réserves
On connaît enfin le curriculum et les finalités que, par lui, visera le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ), qui remplacera le cours Éthique et culture religieuse (ECR) à la rentrée 2023. On peut en consulter les grandes lignes sur le Web. Les responsables de sa conception ont, à mon avis, fait de l’excellent travail.
CCQ : de quoi il sera question
On se rappellera que le cours ECR avait, au fil des ans, fait l’objet de nombreuses critiques, auxquelles s’étaient plus récemment ajoutées celles nées de l’inscription de la laïcité dans la loi, laquelle rendait de plus en plus problématique, voire impossible, l’offre d’un tel cours.
Le nouveau cours devrait se donner durant les six années du primaire et durant quatre années du secondaire — il ne sera pas donné durant la troisième année du secondaire.
Le programme du primaire vise à préparer les élèves à l’exercice de la citoyenneté québécoise ; il se préoccupe de la reconnaissance de soi et de l’autre et traite de la poursuite du bien commun. Le dialogue et la pensée critique sont intégrés progressivement d’un cycle à l’autre.
Au secondaire, une première compétence est « ancrée dans la sociologie (compréhension de la culture, des relations entre les individus et les groupes) ». Une deuxième compétence est quant à elle « ancrée dans l’éthique (réflexion qui porte sur les repères qui fondent des choix, qui font intervenir des valeurs et des normes) ». On y fera une place au dialogue et à la pensée critique « liés de manière transversale aux deux compétences ».
Le volet traitant de la pensée critique, avec notamment l’étude des sophismes, des biais cognitifs et la pratique de la saine discussion, aborde des éléments précieux et j’y applaudis. Tout cela a certes de tout temps été indispensable pour l’exercice de la citoyenneté, mais ça l’est plus que jamais aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et des polarisations et enfermements dans des bulles d’écho qu’ils engendrent.
Il reste du temps avant la mise en place officielle, et on en apprendra beaucoup sur ce qui peut être amélioré grâce à la bienvenue mise à l’essai en cours et en écoutant les divers points de vue qui vont s’exprimer sur le programme tel qu’il est proposé.
Le beau travail réalisé par David Santarossa et François Côté pour le compte de l’Institut de recherche sur le Québec (IRQ), que je vous invite à lire, voit comme moi les indéniables mérites du programme, mais appelle aussi à des améliorations et met en garde contre un possible grave danger.
Le point de vue de l’IRQ
Un premier ensemble de critiques concerne la conception de la culture québécoise offerte dans ce cours. On rappelle qu’on s’éloigne, et c’est tant mieux, de la vision plus strictement civique de l’identité québécoise que proposait le cours ECR et qu’on transmettra des connaissances indispensables pour fonder et former une identité. Mais comment penser sa construction et notamment l’intégration des diverses appartenances, entre autres religieuses, plus particulièrement en ces heures où diverses identités réclament une reconnaissance ?
Ici, les auteurs souhaitent une plus forte insistance sur un idéal de « convergence culturelle », un concept apparu lors des débats sur la loi 101, qu’ils opposent au multiculturalisme. L’ajout suggéré d’un « s » dans le nom du cours irait en ce sens : Culture et citoyenneté québécoises.
Un autre ensemble de critiques concerne l’idée de laïcité et son rapport à la citoyenneté.
Essentiellement, si on salue le fait que l’on voulait, lors de l’annonce du cours, faire à ce concept et à tout ce qu’il commande sur le plan des contenus et des méthodes pédagogiques une place centrale, dans le programme proposé, ce n’est plus vraiment le cas.
On écrit notamment (p. 20) : « La laïcité ne fait pas partie des concepts prescrits par le programme au secondaire, elle est seulement présente dans les “notions et exemples indicatifs” dans deux thèmes différents, “Vie collective et espace public” et “Démocratie et ordre social”. Cela signifie qu’un élève québécois pourrait, en théorie, suivre le cours CCQ durant tout son secondaire sans aborder la notion de laïcité. On se doute bien qu’en pratique beaucoup d’enseignants aborderont ce sujet, le caractère facultatif de ce dernier est néanmoins décevant. Il est d’ailleurs particulier que dans la présentation du programme CCQ, l’un des premiers éléments mentionnés concernant la société québécoise est qu’elle est “structurée par un État de droit laïc et démocratique”. Pourquoi mentionner la laïcité comme aspect fondamental de la société québécoise tout en omettant de mettre ce concept au coeur du programme ? C’est là une contradiction qui doit être résolue. »
Je suis bien d’accord. La laïcité doit imprégner l’ensemble des contenus et des activités de ce cours.
J’en viens au danger annoncé plus haut. Vous en avez sans doute entendu parler : c’est que des actions juridiques contre le cours soient engagées, comme on peut le soupçonner, par des lobbys religieux. Pour ces contestataires, le cours porterait atteinte à leur volonté de transmettre leurs croyances à leurs enfants.
Selon Guillaume Rousseau, directeur des programmes de Droit et politique appliqués de l’État à l’Université de Sherbrooke, à qui j’ai parlé, ce risque de contestation est moyennement élevé et la demande ne serait sans doute pas rejetée au début du processus. On irait donc en procès. Les contestataires risqueraient de perdre, mais on ne peut en être certains.
Il y a donc là une incertitude juridique pour laquelle il faut se préparer.