Inflation redistribuée

Toutes ces promesses de baisses d’impôt et d’adoucisseurs des effets de la hausse du coût de la vie meublant ce début de campagne électorale ont pour socle des finances publiques gonflées par l’inflation. Vouloir en redistribuer une partie peut se défendre. Petit retour au rapport préélectoral.

D’entrée de jeu, le Rapport préélectoral sur les finances publiques déposé en août précise ne pas retenir un scénario de récession. L’impact simulé d’une récession d’ampleur moyenne sur le cadre financier de cinq ans se traduirait par contre par une baisse des revenus de l’ordre de 8,3 milliards, que compenserait toutefois la provision pour risque économique et autres mesures de soutien et de relance de 2 milliards par année, pour une provision totale de 11,8 milliards sur cinq ans, si on y ajoute la provision au fonds de suppléance.

En l’absence de récession, les prévisions de croissance font ressortir un surplus de recettes fiscales de près de 14 milliards sur cet horizon, de plus de 25 milliards si on y greffe les provisions, et ce, avant les versements au Fonds des générations. Mais bon.

Cela étant, sur un horizon plus court, le rapport renferme une révision de la situation économique et budgétaire pour les exercices 2022-2023 à 2024-2025, haussant les revenus autonomes de 16 milliards sur cette période de trois ans en raison principalement de la récurrence des résultats plus favorables que prévu en 2021-2022.

Selon les résultats préliminaires au 31 mars 2022 publiés par le ministère des Finances, le Québec n’aurait enregistré qu’un déficit budgétaire de 294 millions pour l’ensemble de l’exercice 2021-2022, comparé à un déficit de 10,8 milliards comptabilisé un an plus tôt et à celui de 7,4 milliards prévu dans le Plan budgétaire du Québec. Les effets de la pandémie ont fait place à une reprise économique plutôt vigoureuse entraînant une hausse particulièrement ressentie des revenus autonomes, de l’ordre de 20 %, entre les deux exercices de comparaison.

Les entrées fiscales étaient au rendez-vous, gonflées par l’inflation, comme peut en témoigner la croissance du PIB en 2021 chiffrée désormais à 5,6 % en terme réel, mais à 12,5 % en terme nominal (contre 11,3 % dans les projections budgétaires de mars 2022). Pour 2022, les prévisions portent sur une progression de 3,4 % du PIB réel, mais de 9,6 % du nominal (contre 6,4 % en mars 2022).

Effet de récurrence

 

Revenant à l’effet de récurrence évoqué dans le rapport préélectoral, la révision des revenus autonomes de 16 milliards sur trois ans comprend 9,9 milliards venant de l’impôt des particuliers et des cotisations pour service de santé et reflétant de nouvelles projections sur l’augmentation des salaires et traitements.

Du total, 3 milliards viennent de l’impôt des sociétés, 2,1 milliards de la taxe à la consommation — dû notamment à la révision à la hausse de la consommation des ménages — et 2,2 milliards des entreprises du gouvernement (essentiellement un rajustement à la hausse de la contribution attendue d’Hydro-Québec).

Côté dépenses, celles des portefeuilles ministériels sont revues en hausse de 6,2 milliards, et le service de la dette, de 2,7 milliards sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt.

Indexation du régime d’imposition

Bref, la marge de manoeuvre est bien réelle. Sans oublier l’indexation du régime d’imposition du Québec, qui repose sur une mesure d’inflation décalée. Le taux d’indexation est calculé par la variation de l’IPC sans l’alcool, le tabac et le cannabis récréatif entre la période de douze mois se terminant le 30 septembre de l’année précédente et celle prenant fin le 30 septembre de l’année antérieure. Pour l’année d’imposition 2022, l’indexation est de 2,64 % alors que la croissance annuelle de l’IPC au Canada est passée de 5,1 % en janvier à un sommet de 8,1 % en juin. Elle était de 1,26 % en 2021 alors que l’inflation s’est accélérée au-delà de 2 % en mars pour toucher 4,8 % en décembre.

Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, avait fait la corrélation en mars entre cette mesure phare du budget 2022-2023 du gouvernement Legault portant sur la distribution d’un montant ponctuel de 500 $ aux adultes affichant un revenu annuel de 100 000 $ ou moins et l’indexation du régime d’imposition du Québec, y voyant une mesure de compensation.

Fonds des générations

 

Reste la tentation de piger dans le Fonds des générations. Toujours selon le rapport préélectoral, les versements projetés sur cinq ans cumulent à 21,3 milliards, avec des augmentations annuelles de 15 % et de 13 % les deux premières années, les principales sources venant des redevances hydrauliques d’Hydro-Québec et des producteurs privés, et de l’indexation du prix de l’électricité patrimoniale.

Né d’une loi adoptée en 2006, le Fonds des générations est consacré exclusivement au remboursement de la dette brute du Québec. Au cours d’une conférence tenue en janvier 2020, le ministre des Finances, Eric Girard, lançait les consultations sur l’utilisation du Fonds des générations une fois les cibles d’endettement atteintes, qu’il prévoyait alors à compter de 2024, une cible quelque peu déplacée par la pandémie. La Loi prévoit que pour l’année financière 2025-2026, la dette brute ne pourra excéder 45 % du PIB alors que la dette représentant les déficits cumulés ne pourra excéder 17 % du PIB. Dans le rapport, il est prévu qu’au 31 mars 2026, le premier ratio s’établisse à 37,7 % et le second à 15,4 %.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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