Médias: Qui croit encore en la télévision publique?
Le conflit actuel à Radio-Canada est peut-être encore plus important qu'on ne le croit puisque pourrait s'y jouer l'avenir de la télévision publique.
Depuis le début de ce conflit on sent chez les auditeurs un véritable choc devant l'absence de la radio publique. La qualité d'une programmation tout à fait unique et l'absence de publicité sur les ondes font en sorte que lorsque le conflit sera terminé on peut prédire que les auditeurs reviendront assez massivement vers la radio, malgré les habitudes d'écoute différentes qui sont actuellement en train de s'installer par défaut.Mais la télévision elle? La télévision publique? Le moins que l'on puisse dire c'est que le conflit ne suscite pas d'émeutes dans les rues.
Une des explications possibles vient de ce que le caractère public de la télévision de Radio-Canada ait tellement été dégradé ces dernières années que le téléspectateur ordinaire voit de moins en moins la différence entre la SRC et les autres stations. Il est moins porté à monter aux barricades pour défendre le service public. Alors qu'en radio la différence entre le public et le privé saute immédiatement aux yeux (aux oreilles, devrions-nous dire).
À la télévision le conflit n'a pas empêché les téléromans et les séries de fictions de continuer à attirer le téléspectateur. Les émissions sont toujours diffusées parce que de toute façon la majorité d'entre elles ne sont plus produites par Radio-Canada elle-même mais plutôt par les producteurs privés.
Les effets du conflit sur la programmation régulière semblent donc mineurs. Bien sûr un magazine estival quotidien comme L'été c'est péché, animé par Francine Ruel et dont la diffusion doit commencer début juin, est actuellement menacé par le conflit selon nos informations. Mais à Radio-Canada on admet qu'aucune émission importante de l'automne n'est menacée.
Le hockey? Les téléspectateurs pestent, mais ils ne se priveront sûrement pas d'écouter les matchs pour faire plaisir aux lock-outés. Ils choisissent tout simplement de se brancher sur la radio de CKAC en même temps pour entendre les descriptions.
Les magazines d'affaires publiques? Radio-Canada avait assez d'éditions d'Enjeux ou de Zone libre en banque pour que ça ne paraisse pas trop (dans ce cas-là ça risque d'être plus sérieux cet automne).
Alors arrivons au vrai sujet, celui des bulletins d'information, puisque le conflit met en cause les 1300 membres du Syndicat des communications qui travaillent essentiellement pour les émissions d'information.
Selon des chiffres obtenus vendredi dernier auprès du service des communications de Radio-Canada le Téléjournal de 22h a attiré en moyenne 290 000 téléspectateurs pendant les quatre premières semaines de ce conflit, alors que depuis septembre la moyenne d'écoute était de 393 000.
Le bloc d'information de 18h à 18h30 attire depuis un mois 345 000 auditeurs, alors que la première demi-heure du Ce soir en attirait 435 000 depuis le début de l'année.
Pour le bulletin de midi la chute semble plus sévère: 91 000 depuis un mois contre 161 000 auditeurs depuis le début de l'année.
Il y a différentes façons d'analyser ces chiffres. On pourrait y voir la désertion du public envers les téléjournaux. On pourrait également remarquer que le public ne déserte pas assez compte tenu de l'importance d'un tel conflit, et qu'il arrive même à se contenter de téléjournaux tronqués présentés par des employés cadres surmenés et débordés.
Le problème réel à long terme est donc un problème de déficit d'information (et donc de déficit démocratique), les téléspectateurs se contentant maintenant de moins d'analyses et de moins d'informations fouillées, particulièrement dans le domaine de l'information internationale.
Le conflit doit également être placé dans un autre contexte. Selon les plus récents sondages BBM l'écoute générale de la télé de Radio-Canada pendant la semaine du 15 au 21 avril, alors que les gros téléromans se terminaient, a atteint le plancher invraisemblable de 12,1 %, (il y a quelques années à peine la télé de Radio-Canada attirait autour de 25 % de l'auditoire). Cette semaine-là TQS a frôlé 16 % de l'écoute totale et TVA s'est maintenu autour de 32 %.
Ce serait une grave erreur d'attribuer cette baisse uniquement au conflit. Car depuis l'automne dernier la baisse de l'écoute de Radio-Canada était constante (sauf pendant la période olympique de février). Peut-être justement parce que Radio-Canada se distingue de moins en moins des autres stations commerciales? En tout cas il s'agissait d'une tendance réelle que le conflit ne fait qu'aggraver.
Si l'écoute de Radio-Canada se retrouve autour de 10 % dans les prochaines semaines et si le conflit perdure on peut se demander si ce n'est pas l'ensemble de la mission publique de Radio-Canada qui est menacée. C'est la responsabilité de la direction de la SRC de s'assurer que le public a accès à un service public fort. Je veux bien considérer que dans un conflit patronal-syndical les deux parties ont leurs torts, mais force est de constater que l'actuelle direction de la SRC semble démontrer une rigidité incompréhensible dans les circonstances.