Guerre civile?

Cent cinquante-sept ans après la fin de la guerre de Sécession, les États-Unis se dirigent-ils vers une nouvelle guerre civile ?

La question est aujourd’hui sérieusement posée, non seulement par des médias prompts à dramatiser, mais par des chercheurs de plusieurs tendances qui, majoritairement, trouvent la question pertinente. Ils se divisent aujourd’hui entre alarmistes et (modérément) optimistes ou nuancés.

Des enquêtes répétées, en 2021 et 2022, donnent des taux de réponses positives très élevés — et en nette hausse — à la question : « Les États-Unis se dirigent-ils vers la guerre civile ? »

Dernière en date : un sondage IPSOS pour le compte de l’Université de Californie, diffusé le 19 juillet, qui révèle que plus de 50 % des Américains s’attendent à une guerre civile imminente.

Devant un énoncé selon lequel « dans les prochaines années, il y aura une guerre civile aux États-Unis », 47,8 % des répondants se déclarent « en désaccord » et 50,1 % « d’accord » (36,4 % « plutôt d’accord » et 13,8 % « tout à fait d’accord »).

Plusieurs enquêtes d’envergure nationale au cours des douze derniers mois — notamment de l’Université de Virginie en 2021 — vont dans le même sens, le pourcentage des « inquiets » oscillant entre 40 % et 60 %.

Les réponses affirmatives sur l’imminence d’une guerre sont plus fréquentes chez les républicains que chez les démocrates, mais sont élevées partout, chez les jeunes, les vieux, les hommes et les femmes.

La même enquête, menée sur un super-échantillon de près de 9000 personnes, révèle que plus des deux tiers des Américains conviennent que « oui, il existe une menace sérieuse pour notre démocratie ». Plus de 40 % croient qu’« avoir un leader fort pour les États-Unis est plus important que d’avoir une démocratie ».

Quant aux opinions favorables au recours à la violence, « justifié » dans certains cas, elles ne sont plus du tout marginales : entre 25 % et 40 %, selon les enquêtes.

 

La division féroce du pays entre gauche et droite, voire entre extrême gauche et extrême droite, le discrédit largement partagé des institutions comme le gouvernement fédéral, les médias, les universités (en particulier les humanités ultra-politisées), l’idée — devenue banale et quasi obligée au Parti républicain — que l’élection de 2020 a été « volée », etc. : tout cela témoigne d’un affaiblissement marqué des fondements d’une démocratie.

À droite, le terme « guerre  civile » est un leitmotiv du discours de nombreux politiciens et commentateurs radicaux. Il est aussi présent à gauche, davantage — mais pas uniquement — sur le ton de la dénonciation et de la déploration.

Certes, de telles mesures de l’opinion publique, et les coups de gueule médiatiques, ne valent pas une analyse sur la probabilité objective d’un tel événement.

Et si beaucoup d’experts voient « une division de la société américaine sans précédent depuis un siècle et demi » (Barbara Walter, Université de Californie), ils ne croient pas en général au scénario d’une vraie guerre civile.

C’est-à-dire : une guerre au sens classique, front contre front, pour le contrôle de territoires, comme le fut celle de 1861-1865. Qui plus est à l’époque, autour d’une question spécifique : l’esclavage, pilier de l’économie aux XVIIIe et XIXe siècles, gigantesque faute morale dont les effets psychologiques et politiques persistent 150 ans plus tard.

Les propos de Walter ne sont pas pour autant rassurants. Dans une interview récente au Washington Post, elle déclare :

« Quand les gens pensent ‘‘guerre civile’’, ils pensent à notre guerre de Sécession. Dans leur esprit, c’est ce à quoi ressemblerait un nouveau conflit. Mais ce n’est pas ça. […] Ce vers quoi nous nous dirigeons, c’est une insurrection, qui est aussi une forme de guerre civile […] plus décentralisée, utilisant des tactiques non conventionnelles, ciblant des infrastructures, des civils. Terreur intérieure et guérilla, raids avec délits de fuite, bombes », etc.

On pense à ces centaines de groupes suivis par les services secrets, de type « Proud Boys », que Donald Trump n’a jamais clairement dénoncés, et qui ont fait le 6 janvier 2021. Du côté de la politique institutionnelle, on pense à la dernière génération de politiciens promus par Trump aux primaires républicaines.

Pour le poste de gouverneur de l’Arizona, l’ex-président a jeté par exemple son dévolu sur Kari Lake, ancienne présentatrice de nouvelles télévisées. Cette femme harangue les foules à coups de « le gouvernement est pourri jusqu’à la moelle » ; « l’Amérique est morte », « Joe Biden est satanique ». Avec de tels discours, on va en politique comme on va à la guerre.

Bien sûr, la rhétorique de la guerre est beaucoup plus courante que la guerre elle-même. Mais ces discours de « fin du monde » peuvent inciter au passage à l’acte.

La menace contre la démocratie aux États-Unis vient surtout de la droite. Ce n’est pas pour minimiser les méfaits du « wokisme » dans le monde universitaire, médiatique et littéraire. Mais dans ce pays-là, il y a clairement un camp qui, avec ou sans armes, dans l’espace politique et au-delà, tente aujourd’hui d’organiser une vraie subversion de la démocratie.

Le 6 janvier était-il un « pic » singulier, ou le signe avant-coureur de bien pire ?

François Brousseau est analyste d’affaires internationales à Ici Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

  

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